CEAF : dynamiques actuelles et perspectives

CEAF : dynamiques actuelles et perspectives

Les Églises d’expression africaine en France lui doivent beaucoup. Majagira Bulangalire est un acteur majeur des recompositions du protestantisme en francophonie, entre Europe et Afrique. Entretien (2/2)

Après avoir jeté un regard rétrospectif sur l’itinéraire de la CEAF, Majagira Bulangalire, président-fondateur des Églises de la CEAF, rattachées à la Fédération protestante de France (FPF) évoque les dynamiques actuelles et les perspectives qui s’annoncent.

1. Dans les perspectives qui s’ouvrent à la CEAF, quelle est la première priorité qui vous vient à l’esprit ?

Continuer à construire. A un double niveau. Bâtir par la formation, et bâtir des édifices cultuels, des lieux où nous réunir.

Le premier enjeu est la formation, qui reste au cœur des priorités de la CEAF pour le XXIe siècle. Je dis parfois que la CEAF, c’est une école ou tout le monde peut venir se former. J’ai déjà eu l’occasion de souligner qu’une des forces de notre spiritualité c’est de mettre l’accent sur la communication avec un Dieu qui agit maintenant. C’est « Dieu répond-moi ».

La foi n’est pas spéculative, elle œuvre au cœur de l’existence et elle change les choses dans la vie concrète. Les Églises de Réveil se retrouvent aussi dans cela.

Cette spiritualité fait avancer nos Églises, qui se développent. Mais avec cela se pose, toujours renouvelé, le besoin d’enraciner la foi dans une compréhension profonde de la Bible, avec des outils et des repères. Il peut y avoir parfois des manipulations, ou du spectacle pour le spectacle… Le charisme a du bon, mais le charisme est au service de la « Parole de Dieu ». Celle-ci doit être première, comprise et appliquée pour que l’Évangile fasse son œuvre

Ce qui fait un serviteur de Dieu, ce n’est pas ce qu’il a, c’est ce qu’il est. Et cette identité, elle s’ancre dans la « Parole de vie ». En matière d’enracinement et de formation, nous avons mis en place des filières avec la FLTE et l’IPT et nous allons continuer à investir dans cette dimension dans les années à venir; pour valoriser ces formations, nous avons aussi créé un ordre des pasteurs, qui permet de faire valoir la formation dans l’accès reconnu au ministère.

Nous allons par ailleurs aussi tirer les leçons des années Covid : les offres par internet, le travail et l’étude à distance prennent une importance croissante. Mais dans tout cela, on essaie de ne pas créer ce qui existe déjà, mais de rejoindre et renforcer des structures déjà existantes.

 

2. Et qu’en est-il de l’enjeu de l’accès au foncier cultuel ?

Bâtir par la formation c’est bien, mais il faut aussi des locaux. Ce fut une priorité criante au début de la CEAF. En France, nous n’avons pas hérité de patrimoine foncier. Comment trouver les mètres carrés, les lieux dont nous avions besoin ? En trois décennies les choses se sont bien améliorées, et on a pu constater, comme dans le cas d’ICC, que lorsqu’un bon bâtiment est trouvé, l’Église grandit.

Nos communautés n’ont pas de difficulté à attirer du monde. Mais il faut des lieux adaptés pour cela.

Je remercie la Fondation dédiée, à l’intérieur de la Fondation du Protestantisme, pour l’aide apportée. Elle est précieuse. Tous les projets ne fonctionnent pas, certes, et c’est normal, mais la grande majorité réussissent. Je prône qu’on ne se focalise pas sur le projet qui échoue, mais sur les nombreux projets qui aboutissent.

 

3. Qui dit formation dit ouverture à différentes approches. Qu’en est-il à la CEAF ?

Nous avons réussi à cultiver un grand pluralisme interne à l’intérieur des Églises de la CEAF. J’en suis très fier. C’est une force pour les années à venir. Pluralisme culturel, mais aussi pluralisme théologique. Nous partageons des traits communs, parmi lesquels il faut citer le projet d’évangéliser la France, et aussi une grande ouverture aux ministères féminins, mais il y a aussi beaucoup de différences d’une Église locale à l’autre. Et c’est tant mieux. Je n’ai pas cherché à tout régenter.

J’ai été accompagné, à la CEAF, par des personnalités qui avaient souvent des vocations fortes, et j’ai veillé à les encourager, sans les gêner. J’ai laissé chaque communauté exprimer sa sensibilité. Je crois que c’est une des raisons de la longévité de la CEAF. On disait, il y a 30 ans, que la CEAF ne durerait pas très longtemps. Que ses Églises allaient finir par rejoindre les baptistes, les pentecôtistes, les charismatiques, les réformés ou que sais-je… Eh bien c’est plutôt l’inverse qui a fini par se produire.

Des Églises venues d’horizons divers nous rejoignent, car nous accueillons la diversité. C’est pourquoi j’invite à complètement repenser la manière dont le protestantisme, à la FPF, approche ces questions. Il y a eu, pendant un temps, le projet Mosaïc, auquel il a été mis fin sous le mandat du prédécesseur de Christian Krieger. C’était une initiative qui partait d’un bon principe, mais la CEAF s’en est retirée au bout d’un moment car on doit sortir des clichés. Les Églises d’expression africaine ont une grande expertise en matière de diversité. Des choses à apporter. Nous sommes favorables à un partage d’expériences, sur un pied d’égalité, plutôt qu’à un accompagnement qui mélange bonne volonté, cliché et paternalisme.

« Le royaume de Dieu commence ici-bas en transformant les vies »

 

4. Que vous inspirent les récents débats sur la laïcité ?

En France, la parole publique est saisie par la politique, mais la politique n’a pas toutes les réponses et nous ne voulons pas d’un monde qui fait taire les religions. Une mauvaise compréhension de la laïcité réduit la foi à une affaire privée, mais la foi touche tous les domaines.

L’Église n’a pas à être à la remorque de l’État. Elle a pour responsabilité de donner des repères.

Ne plus rien dire de spécifique, ne faire que répéter ce qui se dit, ce n’est pas protestant. Nous défendons, et continuerons à défendre le droit de pouvoir apporter une parole chrétienne reconnaissable dans la société, sans se cacher. Je n’aime pas beaucoup l’expression catholique « repose en paix », qu’on prononce après le décès de quelqu’un. Comme si l’au-delà n’était que sommeil, après une vie terrestre faite d’effort et de souffrance. « Souffrez-sur terre puis allez vous reposer ». Non ! Nous croyons qu’avec Christ, le royaume de Dieu commence ici-bas en transformant les vies. Cette vie continue ensuite, active, dans l’au-delà, car Christ est venu donner la vie éternelle.  Et le Saint-Esprit vit en nous. Alors, pas de dolorisme. Vivons et annonçons l’Évangile !

Nous avons une vocation missionnaire. C’est pourquoi d’ailleurs nous aurions aimé entrer davantage dans les instances du DEFAP (service protestant de mission créé en 1971, ndlr). Avoir la liberté de partager la foi chrétienne de manière publique, c’est un des messages essentiels que nous portons à la CEAF. Un autre message est aussi que l’Église de Jésus-Christ peut construire encore, comme l’illustre l’inauguration prochaine du nouveau bâtiment de l’Église Impact Centre Chrétien -au total, cinq assemblées ICC font partie de la CEAF.

 

5. Quelles perspectives prochaines attendent la CEAF ?

Un changement d’équipe à la tête de la CEAF, et des inaugurations de lieux pour nos Eglises.

Plusieurs Églises sont en forte croissance à l’intérieur de la CEAF. Je pense notamment à l’église ACER, notamment basée à Montreuil, qui en moins de 10 ans est passée de 300 fidèles à 1890, avec une évangélisation pour la jeunesse qui fonctionne très bien. Nos Églises sont sorties de l’invisibilité. L’Église Impact Centre Chrétien (ICC) d’Yvan et Mode Castanou, qui fait partie de la CEAF, en donne aussi une illustration forte.

C’est aujourd’hui la plus grande Église de la CEAF, avec un vaste réseau d’assemblées locales. ICC n’existait pas il y a 20 ans ! De très nombreux fidèles l’ont rejointe, et c’est grâce à leur soutien sans faille qu’un nouveau bâtiment sera bientôt inauguré. Même pendant la pandémie, grâce des dispositifs d’enseignement et de communion par internet, les membres ne se sont pas relâchés. C’est un réseau international qui représente aujourd’hui 80.000 personnes ! Cette générosité est un témoignage de foi. ICC est une église qui reçoit, mais aussi une assemblée qui donne beaucoup.

Générosité et reconnaissance. C’est pourquoi nous nous réjouissons vivement de l’inauguration, dans les prochains mois, de leurs nouveaux locaux à Croissy Beaubourg (Seine-et-Marne). Nous souhaitons marquer le coup. Avec la FPF et tous les acteurs du protestantisme, que ce soit l’occasion d’une grande fête d’actions de grâce, en présence des représentants de la nation.