Les sept théologies de la prospérité

La théologie de la prospérité suscite la controverse, notamment en Afrique francophone, aux Caraïbes et en Europe. Mais de quoi parle-t-on au juste ?

 

 C’est la bénédiction de l’Eternel qui enrichit » (Bible, Proverbes 10, 22). La francophonie protestante est familière aujourd’hui de l’offre proposée par « la théologie de la prospérité ». Il faut dire que ces répertoires, qui établissent un lien organique entre foi et réussite, ont le vent en poupe. Décryptage, et invitation à passer du singulier au pluriel.

Le mouvement de « la théologie de la prospérité », né après 1945 dans l’orbite protestante (1), marque désormais aussi le catholicisme, que ce soit en Amérique latine ou en Afrique (2). C’est peu de dire qu’il suscite la controverse ! En Afrique francophone, aux Caraïbes et en Europe, le débat fait rage. Mais de quoi parle-t-on au juste ?

Et si l’Evangile de la prospérité cachait en réalité plusieurs variantes, voire théologies différentes ?

Dans le cadre d’une recherche en cours (3), sept types différents peuvent être distingués. Ces sept théologies invitent à étoffer notre analyse, et à nuancer nos montées en généralité.

La variante transactionnelle : don /contre don

La première variante repose sur « Donnez, et il vous sera donné » (Bible, Luc 6, 38). Elle systématise la relation à la divinité autour du don et du contre-don, en valorisant volontiers des formes d’automaticité, des « lois de la semence ». Elle renvoie à des réalités largement étudiées par l’anthropologie des religions (bien au-delà du seul christianisme). Sans sacrifice régulier, sans offrande, la surnature n’interviendra pas.

La variante contractuelle : les lois du Royaume

La seconde variante est plus élaborée. Le don ne suffit pas. C’est l’accent sur l’obéissance aux normes divines (honnêteté, discipline, diligence, intégrité etc.) qui prend le premier plan, et qui conditionne la prospérité qui suivra. L’un des versets de la Bible souvent cité est : « Vous observerez donc les paroles de cette alliance, et vous les mettrez en pratique, afin de réussir dans tout ce que vous ferez » (Deutéronome 9, 9).

La variante magico-religieuse : l’onction comme marchandise

Cette variante rejoint la définition classique de la magie, qui attribue à des procédés, des rites (onction d’huile, etc) une force par elle-même. Le verset « Ne touchez pas à Mes oints » (Psaume 105, 15) est souvent invoqué. Il est supposé mettre en avant l’efficacité protectrice de l’onction, le « pouvoir de l’onction » (Benny Hinn), que l’on peut se procurer contre monnaie sonnante et trébuchante.

La variante performative : les « mots pour le dire »

Le quatrième répertoire est performatif. Il repose sur le pouvoir donné à la confession positive. Verset souvent rappelé : « La mort et la vie sont au pouvoir de la langue » (Proverbes 18, 21). Énoncer une parole de foi, c’est contribuer à faire advenir ce qui est déclaré. La conversion et la vie de foi sont comprises comme surmontant l’effet du péché, qui altère la puissance agissante du Verbe divin. Dès lors, la parole retrouve sa force créatrice.

La variante clientéliste : « je bénirai ceux qui te béniront »

La variante clientéliste s’inscrit dans le mouvement de la New Apostolic Reformation, qui vise à remettre à l’honneur la transmission de l’autorité apostolique, en dehors de l’Eglise catholique. Devient prospère et béni celle et celui qui se soumet à l’autorité du prophète, de l’oint. Qui en retour, assure le fidèle de ses prières, et décuple la faveur divine sur son protégé.

« Obéissez à vos conducteurs » (Hébreux 13, 17), condition de la réussite ?

La variante psychopositive : cap sur le développement personnel

La sixième variante, relativement répandue en Amérique du Nord et en Europe, met le cap sur le développement personnel, non sans emprunt à la PNL et au New Age, mais dans une perspective chrétienne. L’épanouissement, via coaching et hygiène spirituelle, voilà le cap. « Devenir une meilleure version de soi-même« , par la foi, ouvre à « la vie en abondance » évoquée dans l’Evangile de Jean (10 : 10).

La variante postcoloniale : le « transfert des richesses »

La septième variante est avec celle des « lois du Royaume », la plus répandue. Postcoloniale, elle plaide pour un « transfert des richesses » (Jocelyne Goma). Les richesses injustes des Egyptiens (Exode 3, 22), oppresseurs des Hébreux, ont leur équivalent avec celles accumulées par les anciens esclavagistes ou colonisateurs. Il est temps, pour les ex-colonisés chrétiens, d’accéder à la nouvelle Terre promise et de récupérer les ressources qui ont été spoliées.

La variété de ces répertoires, et leur popularité (notamment pour la version postcoloniale), attire notre attention sur une chose : au-delà des dérives sectaires (largement documentées) et des registres de disqualification (surtout venus d’Europe), il est sans doute temps de sortir des caricatures simplificatrices.

D’accepter de se laisser interroger par ces théologies qui nous questionnent, en creux, sur nos impensés. Et d’inscrire ces sept répertoires de la prospérité dans l’histoire contemporaine d’un christianisme en plein rééquilibrage Sud-Nord. La francophonie protestante constitue l’un des théâtres privilégiés de cette reconfiguration. Histoire à suivre !

(1) Kate Bowler, Blessed. A History of the American Prosperity Gospel, Oxford University Press, 2013

(2) Manlio Graziano, « L’Eglise catholique et la théologie de la prospérité en Amérique latine », Outremer 2007/1, n°18, p.55 à 85

(3) Sébastien Fath, Mémoire de HDR en cours sur Les théologies de la prospérité en perspective postcoloniale (EPHE-PSL)