« Le voir pour le croire », y compris en terrain protestant

La foi suppose de l’invisible. Mais pas seulement. C’est aussi par le visible qu’on appréhende ce que l’on ne voit pas. C’est tout l’intérêt du très beau livre de photographies que nous proposent les chercheurs Thierry Zarcone et Pascal Bourdeaux.

L’ouvrage collectif qu’ils ont dirigé reprend le déroulement narratif d’une exposition construite autour de plusieurs thématiques, qui visent à montrer la pluralité du croire. Le protestantisme a beau historiquement s’être méfié des supports visibles, il n’est pas oublié, loin s’en faut, dans ce magnifique volume.

 

Publié aux éditions Magellan en cet automne 2021, l’ouvrage Le voir pour le croire porte en sous-titre « Photographier le religieux ». C’est en effet sous l’angle de la photographie que les lecteurs découvrent, avec gourmandise et curiosité, de nombreux univers du croire. Soixante-dix photographies commentées se déploient au fil des pages, après deux superbes introductions signées par les chercheurs Pascal Bourdeaux (EPHE-PSL) et Thierry Zarcone (CNRS).

La pluralité est l’un des maîtres mots du livre. C’est en effet une diversité de regards, de terrains, de religions ou non-religions, de pays, de continents, de rituels, pratiques, architectures, qui s’offrent à l’observation, grâce au concours d’un collectif de chercheuses et chercheurs du laboratoire Groupe Sociétés Religions Laïcités (GSRL, EPHE-PSL / CNRS), fleuron de la recherche française en sciences sociales des religions. Le déroulé reprend une exposition, réalisée à l’occasion des 20 ans du laboratoire (fêtés en 2015), mais s’est également enrichi de nouveaux apports. L’objectif : « contribuer à une compréhension mutuelle des faits religieux et des laïcités en proposant une vision panoramique de la diversité du monde tel qu’il se présente à nous », comme le souligne Pascal Bourdeaux (p.9).

Culte à Moorea (Tahiti), Marche pour Jésus (Paris)

Au sein des univers religieux présentés, le protestantisme, en particulier francophone, occupe une place importante. France métropolitaine, mais aussi Suisse et Océanie ouvrent autant de fenêtres sur un kaléidoscope protestant singulièrement pluriel.  Ainsi, dans la première section du livre, intitulée ‘Gestes du croire », on découvre des charismatiques protestants suisses en prière, main orientées vers le ciel. C’est l’illustration choisie pour la couverture du livre. La photographie présentée ensuite, signée du même Christophe Monnot, illustre un groupe de jeunes fidèles charismatiques helvétiques adressant une « louange à Dieu » (pages 26 et 27).

Dans la rubrique suivante, intitulée « Lettres du croire », le protestantisme s’invite à nouveau via un festival d’évangélisation au Soudan du Sud en 2012, intitulé Hope for a New Nation » : une grande Bible à couverture bleue brandie au-dessus de la foule par une femme à l’écoute de la prédication suggère, actualisé, le principe du Sola Scriptura. Dans le chapitre intitulé « Rituels du croire », un autre aspect du protestantisme dans la francophonie est illustré au travers d’une photographie prise par Gwendoline Malogne-Fer. On découvre des dames élégantes en chapeau et tenue de dentelle, qui sortent d’un culte protestant à Moorea (archipel de Tahiti). Le commentaire nous apprend que « l’évangélisation protestante des îles de la Polynésie a été l’oeuvre conjointe des Ma’ohi (autochtones de Polynésie) et des missionnaires de la Société des missions de Londres, puis de la Société des missions évangéliques de Paris, implantés à Tahiti respectivement à partir de 1797 et 1863 » (p.91).  Dans la même section du livre, on rejoint ensuite via photo une « Marche pour Jésus » tenue par des protestants évangéliques dans les rues parisiennes en 2008 (p.96-97).

Le chapitre qui suit, intitulé  « Architectures du croire », nous montre, parmi nombre d’édifices cultuels de religions différentes, le magnifique petit temple protestant de Papetoai, à Tahiti. Une harmonieuse structure octogonale, construite d’abord en bois en 1823 sur le site d’un marae (lieu de culte de la période pré-missionnaire) : le plus ancien temple en pierre d’Océanie (p.124-125). Après la rubrique « Symboliques du croire » qui n’ouvre pas de lucarne supplémentaire sur le protestantisme, on retrouve les Eglises de la Réforme dans la section finale, intitulée « Laïcités et convictions », avec une double page consacrée à l’Oratoire du Louvre, temple réformé emblématique du protestantisme parisien. La photographie a été prise lors des journées du patrimoine, qui « sont l’occasion pour les non-pratiquants de découvrir l’architecture des temples luthériens et réformés de Paris » (p.169)

Au terme du survol de ce livre, qui offre bien d’autres découvertes que les seuls terrains protestants, on ne peut que féliciter les auteurs pour ce voyage par l’image qui permet, loin des discours arides, d’incarner les élans de foi, les croyances et non-croyances, dans un quotidien magnifié par les gestes, l’art et l’architecture : le voir pour le croire.