Protestants francophones au Québec : un creuset évangélique au XXIe siècle

La Belle Province est marquée par une nouvelle poussée revivaliste depuis le début du XXIe siècle. Découvrez le quatrième volet de notre série sur le Québec.

Le protestantisme québécois francophone contemporain a été marqué par des cycles revivalistes. Ces derniers ont d’abord nourri un évangélisme de type piétiste (héritage Feller), teinté de diverses nuances qui vont du fondamentalisme séparatisme au baptisme social[1]. Ils ont ensuite porté la nouvelle offre pentecôtiste, présente depuis le milieu des années 1960. Après un palier de stabilisation à la fin du XXe siècle, divers indicateurs convergent pour faire l’hypothèse d’une nouvelle poussée revivaliste francophone dans la Belle Province, depuis le début du XXIe siècle. Au sein du protestantisme, les évangéliques en sont toujours les principaux porteurs. Ils dessinent les contours d’un creuset original où se recomposent apports et cultures autour d’un référentiel commun, le message de l’Evangile. Ils se divisent en un mouvement de type piétiste/orthodoxe hérité du XIXe siècle, dont les baptistes sont les principaux représentants, et en un mouvement de type charismatique/pentecôtiste, plus récent (depuis les années 1960), mais aussi bien plus nombreux. Trois dynamiques, parmi d’autres, nourrissent ce creuset revivaliste francophone québécois du XXIe siècle.

Immigration afro-caribéenne francophone

La première dynamique majeure est l’apport de l’immigration africaine francophone. Depuis la fin du XXe siècle, l’immigration caribéenne et africaine en direction du Canada, et du Québec en particulier, s’est intensifiée. Or, de nombreux migrants installés entre Montréal et Québec sont déjà protestants en s’installant. Ils sont parfois réformés, ou luthériens, nourrissant les paroisses francophones de l’Église unie du Canada. Ils sont plus souvent rattachés à la nébuleuse évangélique, sous le signe des cultures pentecôtistes et charismatiques, qui mettent en avant l’efficacité miraculeuse et concrète du Saint-Esprit. Jean-Louis Lalonde fait observer : « Tous les pasteurs évangéliques de la région de Québec constatent cet apport nouveau, tout comme l’amorce d’une mise en place d’églises «ethniques» dans la ville ainsi qu’en témoignent déjà la présence de deux églises espagnoles »[2]. Encore peu étudié, cet apport évangélique francophone venu d’Afrique et des Antilles est en train de reconfigurer le paysage cultuel des grandes villes québécoises, à commencer par Québec et Montréal, où Glenn Smith, directeur du ministère Direction chrétienne, œuvre avec eux pour mieux contextualiser l’offre protestante évangélique francophone dans le contexte urbain du XXIe siècle. Fin connaisseur des recompositions récentes du protestantisme[3], ce dernier estimait en 2011, dans un entretien au magazine Faith Today, qu’un tiers des pratiquants, au Québec, seraient rattachés à une église ethnique, tandis que beaucoup d’autres appartiennent à des Églises multiculturelles. Grâce aux travaux comparatistes du géographe Frédéric Dejean, on commence à mieux connaître leur « précarité spatiale » dans l’espace urbain québécois[4], mais aussi leur itinéraire de reconnaissance et de légitimation par rapport aux acteurs religieux et politiques en place.

Enracinement local d’une francophonie charismatique mondialisée

La seconde dynamique est l’enracinement québécois d’une francophonie charismatique transfrontière. Cette conscience francophone est portée en partie par le milieu baptiste, mais bien plus encore, par le milieu pentecôtiste/charismatique. Depuis l’unification de l’essentiel du mouvement pentecôtiste québécois en 1996, ce dernier a gagné en audace missionnaire, et exerce une attraction de plus en plus importante sur l’Europe, entraînant par exemple de jeunes aspirants pasteurs français à se former au Québec. La diversification du paysage pentecôtiste et l’essor de nouveaux réseaux charismatiques et néo-charismatiques, depuis trente ans, a par ailleurs contribué au décloisonnement des milieux évangéliques québécois, longtemps marqués par la peur du minoritaire. Ouvrant largement les fenêtres sur le monde et les réalités francophones transnationales, ces réseaux pentecôtistes et charismatiques ont tissé des liens, mis en place des structures, à l’image de l’Association Chrétienne pour la Francophonie, créée en 2007 et basée au Québec. Elle regroupe aujourd’hui 26 églises et 30 organismes.

Portée par cet œcuménisme charismatique qui veut que « l’Esprit souffle où il veut », par-delà les étiquettes confessionnelles classiques, cette Association Chrétienne pour la Francophonie se réclame d’une « vision de renouvellement, de soutien et d’implantation d’églises locales dynamiques, autonomes et en croissance, et ce, partout au Québec et dans la francophonie ». On s’inscrit bien dans l’optique protestante évangélique, qui vise à convertir à Jésus-Christ, sur la base d’un élan transnational, francophone, de source québécoise. Hasard ? C’est aussi en 2007, année de la création de l’ACF, que le pasteur Philippe Joret, précurseur des réseaux francophones charismatiques (avec COEF5), s’installe au Québec… Il est bien trop tôt pour faire le bilan de ces dynamiques. Une chose est sûre : la charismatisation du protestantisme québécois a favorisé l’élargissement de ses horizons francophones.

De nouvelles megachurches conquérantes

La troisième dynamique est l’essor de nouvelles megachurches québécoises. Dotée d’une offre diversifiée et d’une force d’attraction capable de rassembler chaque semaine au moins 2000 fidèles, les megachurches (« églises géantes ») sont un phénomène récent au Québec, et elles restent l’exception. Mais beaucoup de communautés grandissent, et certaines approchent ou franchissent le cap des 2000 membres, ce qui leur permet de développer des stratégies d’influence à large impact, au-delà du périmètre territorial sur lequel elles drainent les fidèles. C’est le cas de la principale d’entre-elles, l’église Nouvelle Vie, devenue megachurch à partir d’une implantation montréalaise amorcée en 1993 (Longueuil). Conduite par le pasteur pentecôtiste Claude Houde, elle en est arrivée à fonctionner aujourd’hui comme l’un des principaux « hubs » francophones évangéliques dans le monde. Grâce à un entreprenariat missionnaire et pédagogique porté par la maîtrise des outils numériques du XXIe siècle, le pasteur et enseignant québécois Claude Houde et son équipe est devenu une des voix de référence de la francophonie évangélique. Largement accueilli sur le portail francophone TopChrétien, il incarne le nouveau visage d’une francophonie protestante québécoise décomplexée.

[1] Sur les baptistes francophones au Québec, voir S.Fath, « The other American Dream: French Baptists and Canada in the 19th and 20th Century », dans Jason Zuidema (ed.), French-Speaking Protestants in Canada, Historical Essays, Toronto, Brill, 2011, p. 243 à 263.

[2] Jean-Louis Lalonde, bulletin SHPFQ, décembre 2009, p.10.

[3] Glenn Smith, dir., Histoire du protestantisme au Québec depuis 1960 — Une analyse anthropologique, culturelle et historique, Québec, Éditions La clairière, 1999

[4] Frédéric Dejean, « La précarité spatiale des Églises évangéliques et pentecôtistes africaines en Seine-Saint-Denis et sur l’île de Montréal », in Sandra Fancello et André Mary (dir), Chrétiens africains en Europe, Paris, Khartala, 2010.