Eglise wallonne et Pays-Bas : des racines partagées

Qui connaît les Eglises wallonnes ?
Très francophiles et marquées par l’héritage du Refuge huguenot, elles ont participé à la construction du projet national néerlandais. Entretien avec Françoise Weber, pasteure francophone au Pays-Bas.

Rattachées, dès le début, à l’Eglise protestante des Pays-Bas, les Eglises wallonnes développent un profil original et fécond. Merci à Françoise Weber, pasteure francophone (« Franstalig predikant ») aux Pays-Bas, de nous partager son expérience sur le terrain.

Pouvez-vous vous présenter ?

Vocation tardive, changement de confession, études de théologie menées dans deux pays, Genève et Paris, proposanat contrarié dans l’ERF, pour finalement postuler à l’étranger et m’expatrier, voici un trajet fort résumé de ce qui m’a mené à devenir pasteur francophone au sein de l’Eglise Protestante de Pays-Bas. J’ai d’abord servi une église locale francophone, l’Eglise wallonne de Leyde, pendant sept ans[1]. Je suis encore active au Conseil des Eglises de Leyde pour activer les initiatives œcuméniques, et membre de la Plateforme inter-religieuse. Avec mon conjoint qui est médecin, je suis également développeuse d’un projet alimentaire bilingue, dit « de sortie de crise ». Maintenant on nous appelle : le pasteur et le docteur. Je viens juste d’être appelée par le ministère la Justice pour prendre le poste d’aumônier du Centre de Détention de l’aéroport de Rotterdam, conséquence heureuse d’un engagement auprès des déboutés africains francophones.

Quelle est l’histoire de l’Eglise wallonne de Leyde ?

L’histoire de cette église est passionnante pour qui aime les péripéties du passé et les récits des refuges des 16e et 17e siècles dont elle est issue. Ce qui m’a le plus frappée ? Le rôle joué par les francophones de l’époque des refuges dans la constitution du pays et de son Eglise. Frappant également, le rôle de la langue française dans les institutions, à la cour, chez les érudits. Le passé glorieux de la francophonie quoi. Et aussi : son rayonnement passé dans l’histoire de la ville : hospice wallon, bibliothèque wallonne, « hofje » wallonne (équivalent du béguinage flamand), ruines de l’ancien bâtiment de culte lié aux Pilgrims fathers et le départ du Mayflower. Autant de traces encore visibles dans les inscriptions sur les plaques et sur les bâtiments de la ville, qui pourrait compenser aux yeux des visiteurs la perte d’influence de la communauté dans la société actuelle. Touchée comme toutes les églises par la diminution de fréquentation, elle accuse doublement le choc, puisqu’elle doit aussi résister à l’abandon de l’apprentissage de la langue française. Je pense que son histoire s’écrit maintenant sous la plume du destin du christianisme en Europe.

Comment se passent les relations avec l’Eglise protestante des Pays-Bas ?

Les Eglises wallonnes font partie de l’Eglise protestante des Pays-Bas depuis sa naissance. Dans la salle du consistoire de l’Eglise wallonne de Leyde, vous pouvez voir la liste des pasteurs à son service depuis 1584. Pensez que la première confession de foi adoptée par la Réforme ici en 1561, fut celle d‘un francophone. Pensez qu’elle fait toujours référence de nos jours et vous obtenez une image de la façon dont l’Eglise néerlandophone et l’Eglise wallonne ont leurs racines entremêlées. Mais leurs relations ont fini par prendre une tournure paradoxale ; l’appartenance à une minorité linguistique devient vite prétexte à se construire des règles spécifiques, sans compter la tentation de privilégier le terme « wallonne » à celui d’ « Eglise », signe d’une étrange nostalgie qui m’a laissée plus d’une fois perplexe quand je la voyais se transformer en occasion de fierté et de fermeture aux débats. L’Eglise Protestante des Pays-Bas est en voie de reformulation pour 2025, et les Eglises wallonnes aussi donc, qui trouveront j’en suis sûre le chemin de leur vocation chrétienne dans ce grand remaniement.

Qui fréquente les cultes et réunions ?

Les paroissiens sont plus francophiles que francophones, la plupart sont néerlandais de souche. Assister au culte en français ou être membre de l’Eglise wallonne peut venir d’ un lien effectif, ou émotionnel, avec une ascendance huguenote ou wallonne. Souvent, la langue française est attractive comme toute langue étrangère, qui rafraîchit les notions usées par l’habitude. Je compte sur les doigts d’une main les francophones de langue maternelle que j’ai pu y rencontrer. En bon Français, réfugiés d’Afrique ou immigrée du Québec, ils étaient de confession catholique, donc à mon grand regret, mis à part de la vie institutionnelle. Ceci dit, on compte seulement 40 membres inscrits, la moyenne de fréquentation des cultes tourne autour de quinze à vingt personnes, sachant que la plupart viennent occasionnellement et fréquentent aussi l’Eglise néerlandophone de leur quartier. Reste une poignée de fidèles néerlandais qui se partagent en alternance les tâches qui reviennent au consistoire, avec une relève par les 30-40 ans qui est à saluer, mais qui a dû adopter la langue néerlandaise comme langue de travail, et reste plus attachée au culte, et à la tradition. D‘un autre côté, les journées de rencontres inter-églises francophones de la région que j’ai organisé avec les collègues plusieurs années de suite, puis avec la Commission Mission, ont attiré plus de francophones non-membres, africains ou expatriés, intéressés de participer aux débats d’ « Etre Eglise en temps de crise » et de repenser la vocation de nos communautés. Les réunions du projet alimentaire que j’ai initié en collaboration avec les autres églises de la ville et le centre diaconal inter-ecclésial ont attiré, de ma propre communauté, plutôt les Français de langue maternelle et, hors de la communauté, nombre d’Africains francophones, plus touchés par la crise, et plus habitués aux débats – devrais-je dire : aux palabres, ces échanges houleux nourris de silence à la recherche de solutions sans compromis et sans perdants, si éloignés de nos votes de fin de réunions calibrées où les perdants ont – tout de même, en quelque sorte, il faut bien dire – la langue tranchée.

Quel rôle joue la francophonie dans l’identité de l’église ?

Vous l’aurez compris, je ne vous livre pas une présentation exhaustive de l’Eglise wallonne de Leyde, mais bien un point de vue partiel, sous l’angle de la francophonie, et ceci sous un prisme pastoral assez particulier. Car dans cette situation, ce n’est pas l’Eglise qui est protestante francophone à l’étranger mais en réalité seulement sa pasteure. La francophonie a vite révélé des facettes contradictoires. Rester langage cultuel, fidèle à ses origines, et risquer le déclin. Devenir langage culturel, et connecter la communauté aux individus hors les murs de l’église, au risque de perdre sa spécificité théologique. Jouer la carte du langage commun en développant les échanges avec les catholiques francophones et les communautés africaines francophones évangéliques, pentecôtistes et « prophétiques » ? Et surmonter la désillusion quand on voit que la langue n’est pas identitaire, puisque l’autre, si différent, la parle aussi cette langue française. J’ai avancé dans mon pastorat sur ces trois pieds, dans une valse improvisée. Et pris le parti que la langue n’est que vecteur de convictions, et qu’il faut bien, bon an mal an, se lancer dans les profondeurs déroutantes de toute parole. C’est l’emploi de la langue qui est identitaire, qui se fait arme ou outil, engrais ou désherbant.

D’une manière assez mystérieuse, mes années dans cette église francophone aux Pays-Bas m’ont rapprochée des francophones d’Afrique, vague de réfugiés atteignant la seconde génération, surnommée le 3ème refuge, malheureusement si peu reconnus. Avec eux s’est développé ce projet de sortie de crise[2] à caractère diététique, économique et théologique, qui est maintenant repris et institutionnalisé en néerlandais dans toute la ville. Qui l’aurait cru, alors qu’ils sont si peu représentés, encore si souvent sans papiers ? Et que leur pasteure parle si mal le néerlandais ? En ce sens, la francophonie a apporté du sang neuf à l’Eglise bien malgré elle, ce qui est bien digne de l’art de la plaisanterie divine.

[1] https://sites.google.com/site/eglisewallonnedeleyde/le-temple/l-histoire

[2] Voici son site internet: http://www.lekkergezondgoedkoop.nl/fr/