ttentats en Côte d’Ivoire : pas de chaos confessionnel en vue

Les attentats qui viennent de frapper la Côte d’Ivoire dans la station balnéaire du Grand Bassam, le 13 mars 2016, ont pour objectif de semer la haine. Et faire grandir la peur.

Revendiqués par AQMI, branche djihadiste ultra-violente qui cherche désormais à déstabiliser l’Afrique de l’Ouest, ils réveillent le spectre du « choc des civilisations ».

Cette crainte paraît à première vue d’autant plus justifiée qu’il n’y a pas si longtemps, la Côte d’Ivoire a été l’objet de violences politiques et interconfessionnelles. D’un côté, les partisans de l’ex-président Gbagbo, soutenu en particulier par beaucoup de protestants évangéliques. De l’autre, les partisans du président actuel Alassane Ouattara, parmi lesquels beaucoup de musulmans. En amont, depuis 2003, les troubles et conflits internes s’étaient multipliés. Puis, entre décembre 2010 (date des élections présidentielles) et avril 2011 (arrestation de Gbagbo), ce grand pays francophone a été marqué par une quasi guerre civile où la religion a joué un rôle non négligeable.

Apocalypses prophétiques

Durant cette longue phase de conflit interne, côté protestant, le prophétisme ivoirien s’est échauffé. Comme le rappelle l’historienne et anthropologue Marie Miran-Guyon [1], les prophétismes ont été, dès les temps coloniaux, un « fil rouge primordial » de l’histoire politique et religieuse de la Côte d’Ivoire. La montée en puissance de nouveaux prophétismes pentecôtistes et charismatiques dans la décennie 2000, consubstantiels du régime présidentiel de Laurent Gbagbo, a actualisé et repolitisé cet héritage. Pendant, et même après la violente crise postélectorale de 2010-2011, les prophéties chrétiennes en soutien à Gbagbo ont fleuri. Les révélations et le phénomène sociétal inédit associé au pasteur-prophète Malachie Koné, étudié par Marie Miran-Guyon, illustrent à quel point la Côte d’Ivoire francophone est imprégnée de religion, sans séparation des sphères comme on la connaît en France. Avec en arrière-plan un danger mortel : celui de dresser une religion contre une autre, en réduisant chaque candidat (Gbagbo, Ouattara) à une étiquette confessionnelle. AQMI voudrait-elle aujourd’hui raviver les braises de la division religieuse, et brandir l’étendard de la guerre sainte ?

Si les intentions nocives des djihadistes ne sont un secret pour personne, il convient cependant d’apporter trois contrepoints qui démentent largement le scénario d’une possible fragmentation confessionnelle violente.

Société plurielle et « laïcité africaine »

Le premier élément de pondération tient dans la diversité des protestantismes ivoiriens, et leur capacité de régulation interne. La mouvance évangélique en Côte d’Ivoire, qui représenterait environ 12% de la population, est plurielle, divisée, marquée par le débat interne. Les prophétismes pro-Gbagbo n’ont jamais fédéré l’ensemble des évangéliques, et depuis l’installation d’Alassane Ouattara, ils se sont tus, les responsables évangéliques actuels se montrant désormais d’une grande prudence sur les terrains politiques. Les accents politisés antimusulmans ne sont aujourd’hui l’apanage que d’une très petite minorité de prédicateurs, et l’apocalypse prophétique n’est plus d’actualité.

Le second élément de pondération est la tradition de pluralisme et de laïcité « à l’africaine »[2] qui marque ce pays francophone. La laïcité n’est pas mentionnée dans le préambule de la constitution qui rappelle les valeurs fondamentales autour desquelles « le peuple de Côte d’Ivoire » entend se rassembler. En revanche, elle est clairement stipulée, dans le titre II, comme élément constitutif de la république ivoirienne. On peut ainsi lire dans l’article 30 : « La République de Côte d’Ivoire est une et indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure à tous l’égalité devant la loi, sans distinction d’origine, de race, d’ethnie, de sexe et de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son principe est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ». Ce principe laïc se manifeste notamment par le respect de jours fériés aussi bien musulmans (comme la Maulid Al Nabi ou la Lailat al Qadr) que chrétiens (Pentecôte, Ascension…). Chargée de la promotion de la liberté religieuse et de la laïcité officielle dans le pays, une Direction des cultes finance des constructions pour des sites religieux de différentes confessions, et des voyages de pèlerinages. Alassane Ouattara, président musulman, a ainsi appuyé le financement intégral par l’Etat ivoirien de 200 pèlerins évangéliques (pasteurs pour la plupart) à Jérusalem, en décembre 2011 [3] !

Médiations, réconciliations, protestantismes

Enfin, une grande dynamique de réconciliation nationale et confessionnelle s’est mise en place depuis 2011. Les protestants y ont joué un rôle important. Jean-Luc Mouton, ancien directeur de l’hebdomadaire protestant français Réforme, s’est notamment investi sans compter dans ce chantier de reconstruction des identités passerelles. Ces efforts de lien et de pardon ont porté leurs fruits. Tout n’est pas réglé, mais les grands équilibres ont été rétablis et une cohabitation interreligieuse paisible marque aujourd’hui le quotidien de la grande majorité de la population de ce pays de 322.462 km2. Un Forum des confessions religieuses a fait la promotion du dialogue et des relations meilleures parmi les leaders et groupes religieux. Le Collectif des confessions religieuses pour la réconciliation nationale et la paix a par ailleurs fait la promotion d’objectifs similaires et y a inclus des églises évangéliques qui avaient auparavant refusé de se joindre au Forum.

Ces éléments invitent à écarter tout spectre de balkanisation confessionnelle en Côte d’Ivoire, renvoyant le dernier attentat à sa vacuité vénéneuse : une violence abjecte et lâche, initiée de l’extérieur, sans écho dans une société plurielle et francophone qui aspire à la paix.

[1] Marie Miran-Guyon, « Apocalypse patriotique en Côte d’Ivoire », in S.Fath et C. Mayrargue (dir), « Les nouveaux christianismes », Afrique Contemporaine, n°252, 2015, p.73-90.

[2] Voir Gilles Holder et Moussa Sow (ed), L’Afrique des laïcités, Etat, religion et pouvoirs au Sud du Sahara, Marseille, ed. IRD Tombouctou, 2014.

[3] Miga-Miga, « Pèlerinage évangélique protestant en Israël: Le president Ouattara offre le voyage a 200 fidèles », Abidjan.net, 3 décembre 2011.