Marie Misamu (1974-2016), égérie du Gospel congolais

Les médias européens ne l’ont guère signalé : en revanche, toute l’Afrique de l’Ouest s’est émue à la nouvelle de la disparition soudaine de Marie Misamu, une pionnière du Gospel.

Le samedi 16 janvier 2016, la nouvelle de son décès d’un arrêt cardiaque à l’hôpital chinois de Kinshasa, après une retraite de prière intense, enflamma une partie de la capitale de la République Démocratique du Congo.

Pourquoi elle ? Pourquoi si tôt ? Les rumeurs allant bon train, une foule surexitée s’en est même prise à la propre mère de Marie Misamu, accusée d’être une sorcière, et d’avoir induit la mort de Marie, qui suivait celle de son jeune frère. Des jets de pierres s’ensuivirent sur la maison familiale dans le quartier de Masina, et la police dût intervenir pour sauver la maman de cette « chasse aux sorcières ».

Premières armes dans une chorale pentecôtiste

Les nerfs à vif se sont depuis calmés, laissant place à l’émotion et au souvenir d’une chanteuse qui a marqué la scène musicale francophone en Afrique de l’Ouest et au-delà. Septième enfant d’une famille de huit, cette native de Kinshasa, où elle voit le jour le 16 novembre 1974, a fait ses premières armes de chanteuse dans une Église pentecôtiste de la capitale. Dès l’âge de 11 ans, la voilà choriste. Sa voix, particulièrement riche et mélodieuse, est bien vite repérée. A 22 ans, c’est une première consacration avec la sortie d’un album complet de musique chrétienne, en collaboration avec le chantre évangéliste Debaba, intitulé « Dieu connaît tout ». Le succès de son tube, intitulé « Seigneur », plébiscité du grand public, la convainc de passer à une carrière solo.

Après l’album Nazhiréa (1996), elle réalise l’album « Béatitudes », son premier véritable opus en tant que chanteuse soliste, mais il ne rencontre pas le succès escompté. Les débuts sont modestes, mais la chanteuse ne se décourage pas. Ses plus grands succès ne vont pas tarder à venir, via en particulier sa trilogie « Mystère du voile » (volets 1,2 et 3), albums sortis entre 2004 et 2014, appuyés par plusieurs clips vidéos. Ils rencontrent un très large écho, non seulement au Congo RDC, mais aussi en Afrique de l’Ouest et au sein de la diaspora africaine en Europe et en Amérique du Nord. Mêlant langue française et lingala, elle exprime avec intensité, non sans talents de tragédienne, la foi fervente de tout un peuple dans le Dieu de la Résurrection. Détentrice à deux reprises du prestigieux trophée Mwana Mboka, sa réputation est faite au Congo au fil de chants comme « Salela nga bikamwa », que jeunes et vieux scandent dans la rue. A partir de 2006, elle voyage davantage (Europe, Amérique du Nord), diffusant, loin de Kinshasa, les accents d’un genre musical très populaire dans son pays, mais encore largement méconnu en Occident. De l’Angola à la Belgique, du Québec à la Côte d’Ivoire, elle rassemble les foules, y compris en France. Le 3 janvier 2009, elle remplit ainsi la salle du Millénaire, en région parisienne (2500 places), au côté du groupe Bana OK (spécialisé dans la Rumba congolaise).

Pionnière du Gospel d’Afrique de l’Ouest

Sur un grand portail communautaire, Nsimba Joani Dias ne tarit pas d’éloges: « Marie c’est un phénomène de la musique chrétienne, c’est la grande chansonnière sillonnant les podiums des églises chrétiennes. Ses concerts sont combles, ses disques se vendent mieux que les maigres pains kinois et ceci conjugue à l’engouement des fans pour cette vibrante et irrésistible musique de la soeur ».[1] Son style éclectique conjugue chanson populaire, rythmes Kongo, mélopée et world music, guidé par un référentiel dominant, celui de l’adoration chrétienne, de la prière et de l’exhortation biblique. Articulant souffrances du peuple et espérance, elle est de celles qui, avec son illustre prédécesseur Charles Monbaya, a contribué à inventer et populariser un Gospel africain d’expression locale, proche du Gospel nord-américain par ses thèmes, mais très différent dans ses interprétations et ses accentuations culturelles.

Au cours de ses dernières années de carrière, Marie Misamu avait amorcé une diversification de son expression artistique, s’investissant notamment au théâtre, tout en préparant une série télévisée kinoise. Femme aux nombreux talents (elle réalisait elle-même les habits utilisés pour ses clips vidéo), elle a laissé la scène francophone orpheline au seuil d’une année 2016 pleine d’incertitudes pour les Congolais. De nombreux artistes de son pays, y compris ceux qui ne se produisent pas sur la « scène chrétienne », tels Koffi Olomide, ont salué sa mémoire. Au-delà du milieu de la musique, les condoléances ont afflué de partout, jusqu’à Aubin Minaku, président de l’Assemblée Nationale. Quant à Nathalie Makoma, figure de proue, avec le groupe Makoma, de cette musique chrétienne congolaise si créative qui conjugue spiritualité et variété « pop », elle qualifia son amie Marie Misamu d’ »icône du Gospel »[2]. Icône ? Une grande pionnière, en tous cas, de cette nouvelle histoire du Gospel africain qu’il faudra un jour écrire…

[1] Nsimba Joani Dias « Phénomène Misamu », portail Congovision, 2008.

[2] Martin Kam, « Musique chrétienne : décès à Kinshasa de la chanteuse Marie Misamu », site http://www.starducongo.com/ (17 janvier 2016).