Cognac et protestantisme français, une histoire mondiale

Au départ, une eau de vie en terroir huguenot. Quelques décennies plus tard, le Cognac va s’attirer les faveurs du monde…

Le Cognac a du prestige. Une liqueur forte, riche et fameuse ! Mais il n’est plus aujourd’hui tout à fait au firmament des eaux de vie, dépassé par le whisky, produit en quantité bien plus importante, et vendu à meilleur prix. Principalement produit en Charente et en Charente-Maritime, à partir d’un opulent vignoble accroché aux couches calcaires du bassin aquitain, il résulte d’une double distillation de jus de raisin blanc. Élaboré au XVIIe siècle, ce procédé s’est généralisé au XVIIIe siècle.

Une étrange légende rapporte que la double distillation aurait été inventée par le chevalier Jacques de la Croix Maron de Segonzac, un homme pieux qui une nuit, fit le rêve que le diable lui-même tentait de le damner. Se retrouvant dans le chaudron du Malin, soumis à une cuisson infernale, il résista, par la foi, à cette première épreuve. Satan dut alors lui faire subir une seconde cuisson afin de parvenir à ses fins. Au réveil, le chevalier aurait eu l’idée de transposer son rêve au vin des Charentes, donnant naissance à la fameuse distillation double, à l’origine du Cognac tel qu’on le déguste encore aujourd’hui.

Une eau de vie en terroir huguenot qui séduit le monde

En réalité, le procédé a été mis au point par une succession de tâtonnements et d’expérimentations, aboutissant à l’essor spectaculaire des ventes de Cognac au XVIIIe siècle. Plusieurs familles protestantes ou d’héritage protestant ont été aux premières loges de la production et de la commercialisation du Cognac. L’exercice de nombreuses professions leur ayant été interdit par Louis XIV dès avant la Révocation, beaucoup de Protestants de la région se sont investis dans la fabrication et le commerce des eaux de vie de Cognac. Membre de l’Académie de Saintonge, Alain Braastad, protestant lui-même, est de ceux qui perpétue ce souvenir, et étudie les liens entre protestantisme et Cognac[1]. Lui-même héritier d’une longue lignée de négociants de Jarnac, il se réclame d’une famille qui pratique son métier à la façon « d’un antiquaire du Cognac ». Organisateur d’expositions locales, auteur de nombreux articles d’histoire et de généalogies, il cultive la « mémoire vivante » d’une eau de vie ancrée dans une histoire séculaire. On relèvera qu’avant même la naissance du Cognac tel que nous le connaissons aujourd’hui, le terroir de cette eau de vie a croisé plus d’une fois le protestantisme : c’est à François 1er, natif de Cognac, que Calvin dédia ainsi sa première version de l’Institution Chrétienne. C’est aussi en Charente, sur les terres du Cognac, que Calvin, sous un nom d’emprunt, se cacha lorsqu’il fut poursuivi pour apologie de la Réforme… Plus tard, la Paix de Saint-Germain, en 1570, accordera à la cité de Cognac le statut de place de sûreté pour les protestants, ces derniers se révélant très nombreux dans la région…. C’est en ce terroir huguenot que quelques décennies plus tard, la fameuse eau de vie va affirmer son caractère, et s’attirer les faveur du monde.

Adopté par les Afro-américains

Après une période de lent déclin au cours du XIXe siècle sous l’effet de la concurrence de Whisky (que l’humoriste Pierre Desproges qualifiait perfidement de « Cognac du con »…), le Cognac s’est découvert de nouveaux débouchés avec la Seconde Guerre Mondiale. En effet, de nombreux soldats américains découvrent et apprécient cette eau de vie de caractère. Le Cognac était certes déjà bu, outre-Atlantique, depuis plus d’un siècle, mais dans des cercles très limités. Une élite. Désormais, le marché s’élargit. Fini le sacerdoce réservé, le Cognac se démocratise outre-Atlantique. Parmi les nouveaux buveurs de Cognac, ce sont les Noirs qui se montrent le plus enthousiastes, au point où le Cognac va devenir, dans les années 1950, une boisson de référence pour la communauté afro-américaine. Culturellement, le Cognac, venu de France, est opposé au Whisky des anglo-saxons blancs, assimilé à l’oppression des tenants de la ségrégation. Minoritaire par rapport au Whisky, le cognac se veut aussi meilleur. Dans la magazine de référence des Afro-américains, Ebony, l’édition de mai 1965 consacre sa couverture, en couleur, à la marche de Montgomery conduite par le pasteur baptiste Martin Luther King Jr… En page 4 du même magazine, bordant le sommaire, une large colonne de publicité promeut la « Fine de Champagne COGNAC Rémy Martin » et son goût si supérieur… Les pasteurs buvaient-ils pour autant beaucoup de Cognac ? On peut en douter compte tenu du poids considérable, aux Etats-Unis, de l’abstinence anti-alcoolique, devenue parfois un véritable marqueur d’orthopraxie chrétienne. Mais gageons que bien des victoires du mouvement des Droits Civiques ont été fêtées, au soir des luttes, d’un verre délicatement rempli de cette inimitable eau de vie ambrée venue de France.

Cette identification va s’accentuer dans les années 1990 au sein de la culture hip-hop et rap où le Cognac (Appellation d’Origine Contrôlée) s’invite dans les clips et sur les scènes. Appelé « yak », il prend un « coup de jeune », mais sans lien cette fois avec le protestantisme français… Excepté peut-être ceci : le double sentiment d’être minoritaire et d’être meilleur…

[1] Alain Braastad, « Le commerce des eaux de vie de Cognac et les protestants en Saintonge au XVIIIe siècle », conférence, Causeries de Cozes, 3 mars 2013.