Protestantisme francophone : et la France d’Outremer ?

Outremer, éternelle oubliée ? Il faut bien admettre que la quasi-totalité des synthèses disponibles aujourd’hui sur le protestantisme français ne s’intéressent guère aux départements et collectivités d’Outremer.

Il y a des efforts récents, certes. Mais beaucoup reste à faire. Nous sommes collectivement victimes, mais aussi acteurs, d’un nationalisme méthodologique étriqué qui confond la nation avec l’hexagone. Il est grand temps que cela cesse.

Osons ce pari : que ce XXIe siècle devienne celui de l’Outremer ! Dans les grands médias nationaux, les lignes commencent à bouger. On prend l’habitude, en écoutant le bulletin météo, de découvrir la température et l’ensoleillement à l’île de la Réunion, à Fort-de-France ou en Guyane. La littérature créole a conquis le Salon du Livre à la Porte de Versailles, et le zouk anime depuis longtemps les dance floors des beaux quartiers parisiens. Et chez les protestants, comment cela se passe ? Réputé pionnier dans certains domaines, le protestantisme français de l’hexagone paraît conservateur. Il préfère la crème de marron à la crème de coco. Il est loin d’être exemplaire en matière d’ouverture à l’Outremer. Des efforts sont réalisés. Mais en chœur, les ultramarins affirment en marge de la copie : « peut mieux faire » ! Outre un nombrilisme hexagonal largement partagé, mais aussi l’éloignement géographique, qui rend l’échange coûteux, deux autres raisons expliquent la situation actuelle.

Impensé colonial

La première est liée à l’impensé colonial. Cet impensé remonte à ce que les historiens appellent la « première colonisation », avant la Révolution Française. Aux XVIIe et XVIIIe siècle, des protestants français, mais aussi helvétiques et francophones, ont activement participé au commerce triangulaire. A savoir la Traite des esclaves, entre les grands ports d’Europe de l’Ouest, l’Afrique de l’Ouest et les Caraïbes. Depuis La Rochelle ou Rotterdam, on chargeait le navire de « pacotille ». Puis, arrivé sur les côtes de l’actuel Bénin ou du Togo, on faisait l’acquisition d’esclaves préalablement capturés par razzia. Avant de mettre le cap vers les Antilles, Haïti ou la Floride, où la main d’œuvre servile était revendue, procurant des profits juteux aux investisseurs. Les huguenots engagés dans ce commerce étaient loin d’être les seuls ! Mais ils ont financé, armé des bateaux, construits de somptueuses demeures, notamment à La Rochelle, sur la base d’un vil trafic. C’était l’époque, dira-t-on. Les catholiques n’ont pas été en reste, ajoutera-t-on pour faire bonne mesure. Certes ! Mais la marque, indélébile, est restée. Dans les Caraïbes, des milliers de familles, parfois protestantes aujourd’hui, descendent d’esclaves vendus sous pavillon huguenot, ou par des réformés hollandais. L’Outremer protestante réveille aujourd’hui la mauvaise conscience de certaines de ces familles huguenotes, engagées dans la Traite transatlantique avant, et même après la Révocation de l’Edit de Nantes.

Surreprésentation évangélique

La relative modestie de la référence à l’Outremer dans le regard porté sur le protestantisme français s’explique aussi par une seconde raison, qui tient au type de foi professée. On observe une surreprésentation évangélique au sein du protestantisme des départements et collectivités d’Outremer. Vue depuis Paris, elle ne plaît guère, à l’heure où les instances officielles de la Fédération Protestante de France continuent à défendre la fiction d’une identité protestante prioritairement représentée par réformés et luthériens. Nul doute que si le protestantisme antillais était à 80% réformé, on en parlerait bien davantage ! Mais on en est loin. En Martinique, on peut estimer à environ 45.000 le total protestant. La grande majorité de ces fidèles sont évangéliques. Même constat en Guadeloupe et en Guyane, qui compteraient respectivement 70.000 et 30.000 protestants. Baptistes, méthodistes, pentecôtistes, frères larges, évangéliques indépendant, Eglises prophétiques et charismatiques… Les dénominations ne manquent pas. Leur trait d’union : défendre un protestantisme de conversion, bibliciste, prosélyte, de marque évangélique, souvent côtoyé de près par les adventistes, proches cousins. A l’île de la Réunion, les 120.000 protestants qu’on peut y répertorier sont eux aussi en forte majorité évangéliques, en particulier pentecôtistes (matrice des Assemblées de Dieu). On les connaît bien, aujourd’hui, grâce à deux thèses de doctorat[1]. Seule la Nouvelle Calédonie (où le ratio est environ 50/50 parmi les 80.000 protestants) et la Polynésie (150.000 protestants environ) révèlent une démographie protestante fortement marquée par l’identité réformée.

Au total, en comptant départements et collectivités d’Outremer, les évangéliques constituent au moins les ¾ du protestantisme ultramarin (qui rassemblerait un total de plus de 500.000 fidèles). Conformément à leur culture décentralisée, ils ne brillent pas par la visibilité de leurs réseaux ! Renforçant la tentation, depuis Paris, de sous-estimer cette présence protestante d’Outremer, pourtant française et francophone. Jusqu’à quand ?

[1] Bernard Boutter, Le pentecôtisme à l’île de la Réunion. Refuge de la religiosité populaire ou vecteur de modernité ?, Paris, L’Harmattan, 2002, et Valérie Aubourg, Christianismes charismatiques à l’île de la Réunion, Paris, Khartala, 2014.