Maman Olangi, mort d’une guerrière de l’Esprit

La francophonie ouest-africaine est en émoi : Maman Olangi, grande figure des nouveaux christianismes africains, s’en est allée le 5 juin 2018. D’où vient la popularité de cette femme singulière ?

Vive émotion aussi dans les réseaux transnationaux congolais nourris par les réveils spirituels. Maman Olangi, grande figure des nouveaux christianismes africains, s’en est allée le 5 juin 2018 à l’âge de 68 ans, dans le quartier de Limete à Kinshasa (République Démocratique du Congo). Une crise cardiaque l’a terrassée. Une rumeur a couru durant quelques heures dans la capitale, au point d’être relayée par les médias locaux. Elle aurait ressuscité ! Mais non. Le travail de deuil doit commencer.

Elisabeth Wosho Onyumbe, devenue plus tard Maman Olangi, est née le 19 novembre 1950 dans le territoire de Katako Kombe (province de Sankuru). Après avoir commencé ses études supérieures à Lubumbashi, elle se rend en Belgique où elle étudie les sciences sociales à Louvain-la-Neuve, puis en France où elle obtient un diplôme en 1976 dans l’école Grenier de Paris (haute couture). Une expérience de conversion évangélique, au début des années 1980, la conduit à réorienter ses priorités en direction d’un apostolat marqué par deux priorités : le soutien pastoral apporté aux couples et aux familles, et le « combat spirituel » afin de chasser les influences démoniaques néfastes qui s’attaquent aux fidèles. Les femmes sont le cœur de cible de ce message ascétique, moral et mobilisateur, qui bien vite attire les foules. Le Congo postcolonial est alors partagé entre tensions, crises internes et ouverture sociale, culturelle et religieuse. C’est le temps de l’essor au grand jour des Eglises de Réveil, issues des protestantismes postcoloniaux. Ces mouvements combinent conversionnisme évangélique, accent sur les dons du Saint-Esprit (matrice pentecôtiste) et ministères de délivrance (exorcisme). Certains décrivent cette phase comme le quatrième réveil de Pentecôte au Congo, alors appelé Zaïre[1].

Les Femmes Messagères du Christ (CIFMC)

Celle qu’on appelle bientôt Maman Olangi en devient rapidement une figure de proue grâce à son charisme et son travail. On l’identifie peu à peu comme une guerrière, une combattante du Saint-Esprit, vent debout, Bible en main, contre les forces démoniaques. Peu à peu appuyée par son mari Joseph, elle fonde la Communauté Internationale des Femmes Messagères du Christ (CIFMC) et prêche aux femmes congolaises et au-delà. Etudiée par Bénédicte Meiers qui lui a consacré un livre en 2013, Maman Olangi met en place un véritable réseau chrétien transnational fondé sur le combat spirituel, comme entreprise d’arrachement à la pauvreté et vecteur de changement social. En quelques années, « Maman et Papa Olangi » deviennent des célébrités, et 5000 fidèles viennent à Kinshasa les écouter chaque dimanche, alors que l’entreprise religieuse du couple ne cesse de se développer. Dans une société congolaise en mutation, et bientôt en crise, le ministère de délivrance et de combat spirituel de Maman et Papa Olangi propose des solutions, clef en main, pour « exister pleinement et positivement et non pas seulement en creux et dans les interstices de la société ambiante »[2]. Dieu est plus fort que les tentatives du Malin pour déstabiliser les chrétiens ! Dans un monde social violent pour les plus faibles et secoué par des crises, l’offre spirituelle de Maman Olangi conjugue étiologie du Mal, délivrance et contrôle social, et ça marche. Les fidèles affluent, des ralliements se produisent, une dynamique missionnaire dans toute l’Afrique subsaharienne (et au-delà) se déploie. L’entreprise, cependant, est loin de faire l’unanimité. Elle rencontre critiques et oppositions. Certains parlent d’un nouveau culte, en partie détaché du christianisme classique, qui favoriserait un enrichissement jugé suspect des fondateurs. D’autres accusent Maman Olangi d’avoir indirectement encouragé une véritable épidémie de chasse aux sorciers et sorcières. Y compris parmi les enfants, au risque de grave dérives (exorcismes parfois mortels de soi-disant enfants sorciers). Par-delà les polémiques, force est de constater que les fidèles n’ont cessé de soutenir ce ministère singulier, qui a su s’inscrire dans la durée.

Après le décès de Papa Olangi le 1er octobre 2017 à Johannesburg, son épouse avait repris, seule, le flambeau du ministère, y compris à la tête de la Fondation Olangi-Wosho (fondée en 1993). Très affaiblie, elle n’avait pu assister aux obsèques de Joseph Olangi, finalement organisées en terre natale à N’sele (Kinshasa), le 2 juin 2018. Sa disparition ne met pas fin à l’élan donné. Les Eglises de Réveil au Congo n’ont pas fini d’interroger les catégories traditionnelles du christianisme telles que les Européens les ont forgées, et bien d’autres « Messagères du Christ » (membres du réseau fondé par Maman Olangi) continuent leur ministère, que ce soit au Congo ou dans les territoires circulatoires ouest-africains en Europe et en Amérique du Nord.

[1] Bénédicte Meiers, Le Dieu de maman Olangi, L’Harmattan, Louvain-la-Neuve, 2013, p.85.

[2] Bénédicte Meiers, Le Dieu de maman Olangi, op. cit., p.236.