Entretien avec le recteur de l’Université Protestante au Congo

L’Église du Christ au Congo est la plus grande Église protestante francophone au monde. »

Le professeur Ngoy Boliya Daniel est depuis vingt ans le recteur de l’Université Protestante au Congo (UPC). Après ses études de licence en théologie à Kinshasa, il poursuit son cursus à Strasbourg pour un DEA et un doctorat dans le domaine de la patristique. Il étudie en particulier Saint Augustin, avec le professeur André Benoît. Travaillant sur les relations christianisme, foi et culture dans la théologie de Saint Augustin, il enseigne durant 34 ans la patristique avant d’occuper ses hautes fonctions académiques actuelles. Il a accepté de répondre à nos questions le vendredi 11 septembre 2015 dans son bureau de l’UPC à Kinshasa.

La notion de « francophonie protestante » n’est pas très répandue. Est-ce qu’elle vous surprend ?

Non, au contraire. On ne sait pas assez que l’Église du Christ au Congo est la plus grande Église protestante francophone au monde. Ceci n’est pas le résultat de l’évangélisation belge ou française. En fait, nous avons été beaucoup évangélisés par des dénominations anglophones, surtout américaines, avec quelques Églises protestantes européennes, Suède, toute la Scandinavie, l’Angleterre avec les baptistes de la BMS, puis nos Églises protestantes se sont énormément développées par elles-mêmes, avec toujours la langue française en partage. Nous sommes des millions de protestants francophones.

Pourquoi ce maintien de la langue française, alors que les Églises qui ont soutenu le développement protestant ne parlaient généralement pas cette langue ?

Il faut rappeler que le pays colonisateur, la Belgique, a deux langues, le français et le flamand. Les autorités coloniales ont décidé que le français serait la seule langue de la colonisation. À partir de là, toutes les missions protestantes désireuses de travailler au Congo belge passaient obligatoirement par la Belgique, pour une année, afin d’apprendre le français. Et leur travail missionnaire ici se faisait en français, même si leurs missionnaires ne parlaient pas cette langue à l’origine.

En quelque sorte, le Congo RDC a ainsi contribué à « francophoniser » le protestantisme ?

Absolument ! Le français était langue officielle et tous les missionnaires, catéchistes, pasteurs protestants venus ici ont dû adopter le français. C’est la langue de travail. Une langue qui nous réunit, au-delà de nos propres langues. Cela fonctionne comme cela depuis l’école primaire. Pour vous donner un exemple, durant toute ma propre éducation presbytérienne, j’ai été enseigné par des Américains. Mais ceux-ci m’ont enseigné en français ! C’est toujours comme cela que ça fonctionne aujourd’hui. Les Églises protestantes congolaises sont francophones, et du coup les anglophones qui viennent en tant que professeurs, pasteurs ou missionnaires doivent se mettre au français s’ils veulent rester ici et avoir un impact.

Comment voyez-vous l’évolution de l’Université Protestante au Congo que vous dirigez ?

Nous sommes en forte croissance. Celle-ci est liée au vigoureux développement du protestantisme. Le catholicisme, associé à l’héritage colonial, est en déclin. Il a perdu du terrain. Les Églises protestantes ont beaucoup grandi depuis l’indépendance, et aujourd’hui, notre université à Kinshasa devance son équivalent catholique en matière de nombre d’étudiants. Nous nous sommes diversifiés, avec des Facultés de Droit, d’Économie, de Médecine, mais en veillant bien à maintenir l’identité protestante : quels que soient les cursus suivis, les étudiants doivent suivre des cours théologiques obligatoires. La référence chrétienne et protestante nous rassemble.

Quels partenariats développez-vous à l’étranger, et avec la France en particulier ?

En tant que pasteur protestant francophone ayant étudié en France pour la maîtrise et le doctorat, j’ai toujours pensé qu’il y avait nécessité à une collaboration entre l’Université Protestante au Congo, et les Églises et institutions protestantes de France. De fait, nous avons de bonnes relations, mais réduites en contenu. Nous connaissons et apprécions l’IPT, la Faculté de Strasbourg, le DEFAP, mais ce ne sont pas tout à fait des équivalents. Nous avons 8000 étudiants, avec toutes les contraintes d’échelle que cela signifie. Nous souhaiterions plus de visites de la part des responsables des Églises de France. Nous avons sollicité plusieurs fois des rencontres avec la Fédération Protestante de France, cela n’a pour l’instant pas débouché sur du concret. Nous espérons davantage. Nous ne recevons d’ailleurs même plus le journal Réforme, que nous avions par le passé…

Nous avons développé, par ailleurs, des partenariats importants avec de nombreuses institutions universitaires, notamment avec l’Allemagne, les Pays-Bas (Utrecht), le Canada et les États-Unis.

Quelles sont vos priorités ?

Nous désirons renforcer la formation francophone, la formation des formateurs protestants au niveau supérieur, développer les échanges de professeurs. Nous sommes très intéressés par l’enseignement à distance, les modules vidéos développables grâce à internet. Par ailleurs, nous continuons à travailler à la diversification de nos étudiants, dont beaucoup viennent aujourd’hui des Églises de Réveil. L’ »unité dans la diversité » est et doit rester notre mot d’ordre.