Anna Teko, la voix Gospel qui décloisonne

Trajectoire d’une chanteuse qui, entre Bénin, France et Caraïbes, bouscule les barrières confessionnelles.

 

Le Gospel brise les chaînes ? Derrière le slogan, il faut tempérer, et rappeler que la musique n’est pas toujours un facteur de décloisonnement. Elle peut aussi jouer aussi le rôle de refuge identitaire, voire de box individuel où l’on se cache de l’extérieur. Rien de moins relié que ces usagers du métro qui partagent un wagon, mais coupés des autres dans l’écoute individuelle de la musique diffusée dans leur casque !

Mais avec la musique Gospel chantée par la Béninoise Anna Teko, on se situe aux antipodes de ces logiques de « niche privée ». S’il est bien une caractéristique indiscutable que l’on peut dégager de son répertoire et son parcours, c’est la propension au lien, à la rencontre. La musique d’Anna Teko, « chantre de l’Eternel », se déploie en trait d’union dans trois espaces différents : celui de l’Atlantique, entre Caraïbes et Bénin, celui du paysage chrétien, entre étiquettes confessionnelles, et celui du terrain national béninois au sein duquel elle a affirmé son remarquable talent vocal.
 
Trait d’union entre Caraïbes et Bénin

Elle naît en 1982 au Bénin au sein d’une famille de 31 enfants nés d’un père et de cinq épouses. Très vite repérée pour ses aptitudes de chant exceptionnelles, Anna Teko n’est pas un grand gabarit par la taille. En revanche, la voix de cette chrétienne béninoise pieuse et forte de la région de Lokossa n’a rien à envier aux plus grandes en matière d’intensité, d’ampleur et de sensibilité. Elle obtient un prix UNESCO à Cotonou pour une chanson dès 1997. Entourée de musiciens, elle brille ensuite dans plusieurs comédies musicales. Grâce à une bourse octroyée par l’Etat béninois, elle travaille ses talents à l’école ATLA en France, durant deux ans (1). Revenue au Bénin, elle ne cesse de perfectionner sa technique et ses registres.

L’Atlantique ne lui fait pas peur ! Elle s’installe en Martinique en 2009 pour suivre son mari martiniquais. Dès son arrivée dans l’île, le public découvre avec intérêt sa voix intense et pleine d’émotion. Très vite, elle devient populaire, est invitée à la télévision, remplit les salles, le public caribéen l’adopte et la plébiscite. Son premier album solo, « Ta douce voix » (2010) reste en tête des meilleures ventes de musique aux Antilles « pendant plus d’un an », d’après le site de l’artiste. Titré d’un prix SACEM en 2011, il est suivi en 2012 de l’album « Mon miracle », qui connaît un retentissement encore plus grand et se vend bien aussi en France métropolitaine. Enregistré au Bénin, son troisième album « Totale adoration » (2014) suivra-t-il le même chemin ? Il semble que oui d’après a popularité croissante de la chanteuse au Bénin, son pays natal. Sa trajectoire entre Bénin, France et Caraïbes n’est pas seulement géographique : elle est affective, culturelle, artistique, et se reflète dans ses chansons, où les langues béninoises, française et créole se côtoient.
 
Trait d’union entre confessions

Trait d’union transatlantique, la musique d’Anna Teko bouscule aussi les barrières confessionnelles. Chrétienne « born-again », la « chantre de l’Eternel » la plus célèbre du Bénin ne plaide pas pour une étiquette confessionnelle particulière. Dans « Il est merveilleux », tiré de l’album « Mon miracle » (2012), elle unit « les catholiques », « les adventistes », les « chrétiens célestes », les « évangéliques », « les pentecôtistes » dans une même louange.

« Tu n’as pas raison » est un de ses « tubes » les plus populaires. Tiré du même album « Mon miracle », il s’adresse à un chrétien sectaire, prompt à juger selon l’étiquette. Anna Teko le rabroue par ces paroles directes : « Tu n’as pas raison, Juger pour une différence, de confession d’appartenance… C’est le même Dieu que nous prions, Tu n’as pas raison ».
 
Trait d’union entre Béninois

Cette appétence pour le rapprochement interconfessionnel explique-t-elle pourquoi Anna Teko se voit de plus en plus sollicitée pour encourager les Béninois à la concorde ? Dans un contexte politique un peu troublé, la chanteuse se trouve aujourd’hui en première ligne pour défendre la concorde et la participation démocratique de tous. Dans un pays fortement marqué par l’évangélisme (2), Anna Teko est une voix respectée. S’inscrivant dans une sorte de « religion civile » à connotation chrétienne où la chanteuse entend promouvoir les notions de pardon, d’intégrité et d’humilité, elle a été décrite, sur le site Evangélique-info, comme l’interprète Gospel qui « lance les présidentielles 2016 au Bénin », suite à la présentation de son single « Le choix de Dieu » à Cotonou, en avril 2015(3). L’expression est un peu forte….

Mais il est vrai que la chanteuse béninoise est une des voix qui s’attache à incarner aujourd’hui, dans l’espace public, une forme d’unité nationale méta-ethnique, comme l’illustre le succès naissant, sur YouTube, de son duo avec le chanteur béninois Kalamoulaye. Intitulé « Le chemin du Bénin », il exalte l’unité du Nord et du Sud et l’exercice du vote démocratique. De la « voix » chantée à la « voix » dans les urnes…

 
(1) Cette expérience est évoquée dans un documentaire scandinave, Anna from Benin (par Monique Phoba, 2000, Kroma Productions Ltd).

(2) Voir Cédric Mayrargue, « Les christianismes contemporains au Bénin au défi de la pluralisation », Afrique Contemporaine, n°252, 2015, p.91 à 208.

(3) « Une chanteuse de gospel lance les présidentielles 2016 au Bénin », site Evangéliques-info, posté le 8 avril 2015.