Une thèse de doctorat sur l’Église évangélique du Congo

Un aperçu du passionnant travail de recherches de Richard Macaire Lengo qui enrichit notre compréhension des recompositions protestantes au Congo Brazzaville.

Bravo Richard Macaire Lengo ! Ce nouveau docteur a soutenu avec succès sa thèse de doctorat en sociologie le 11 août 2021 dans l’auditorium de la Grande Bibliothèque Universitaire de Brazzaville (République du Congo). Dirigée par Régine Tchikaya-Oboa, sa thèse s’intitule précisément « L’Église Évangélique du Congo (EEC) : l’Ethos protestant à l’épreuve des pratiques du « Monde » et des Mutations Sociales » (Université Marien Ngouabi, Brazzaville).

Au fil d’une introduction générale qui pose le contexte, la justification du sujet, Richard Macaire Lengo dresse la problématique et l’hypothèse générale, celle d’une recomposition, au fil du temps, de l’ethos protestant cultivé au sein de l’Église évangélique du Congo. A partir de ce socle, il déploie une analyse en quatre parties, étayées par des approches théoriques croisées et un état de la question (bibliographie scientifique sur le sujet). Les apports de George Balandier, notamment, sont mobilisés.

Dans la première partie de la thèse, l’auteur présente l’Église Évangélique du Congo (EEC), navire amiral du protestantisme dans la République du Congo. Une Église formellement autonomisée en 1961, mais appuyée sur un travail missionnaire qui remonte à 1909, et surtout, sur un réveil, appelé Nsikumusu, celui du 19 janvier 1947, porté par le prophète et pasteur Daniel Ndoundou (1911-1986).

Fin d’un certain exceptionnalisme protestant

Dans la seconde partie, Richard Macaire Lengo se consacre à une présentation des pratiques de l’Église Évangélique du Congo depuis le réveil de 1947, tout en procédant une mise en perspective à partir de deux points de comparaison. D’un côté, l’Église Évangélique du Congo des années 1960, avec la première génération de la décolonisation, où l’éthos protestant cultivé au sein de l’EEC affirme une singularité largement reconnue au plan sociétal. De l’autre, l’Église Évangélique du Congo aujourd’hui. Deux images antithétiques, contradictoires, souligne Richard Macaire Lengo.

Le contraste s’inscrit dans un contexte de mutations sociales, culturelles politiques et économiques.

Jusqu’au début des années 1990, les protestants de l’EEC étaient largement reconnus, et réputés, pour leur intégrité, leur sobriété, et la transparence de leur gestion financière. Mais les transformations socio-économiques, accroissant la précarité et la recherche de positions stables, ont eu raison de ce modèle. L’ethos protestant de jadis s’est altéré, et le regard extérieur constate, dans bien des cas, des comportements « déviants » au regard des normes internes de l’EEC. C’est la fin d’un certain « exceptionnalisme protestant ».

La troisième partie de la thèse s’attaque précisément à l’enjeu matériel, en auscultant l’évolution de l’économie formelle et informelle au niveau de l’Église évangélique du Congo, avec en particulier la création des unités de production dans les années 2000 (structures sanitaires, écoles, etc.), qui génèrent beaucoup d’argent et d’enjeux de gestion. Cette évolution est marquée par la hausse des conflits d’intérêt et affecte l’ethos protestant. A l’époque du pasteur Daniel Ndoundu, grand artisan du réveil congolais, les fidèles de l’EEC étaient souvent qualifiés de « Balaba Kedika », les enfants de la vérité, qui ne disent pas de mensonge. Ce capital symbolique important s’est effrité.

Pastorat comme « gagne-pain » plutôt que comme vocation

Dans la dernière partie, qui sera l’objet d’une publication sous forme de livre, Richard Macaire Lengo analyse les logiques de recomposition de l’éthos protestant. L’auteur identifie les facteurs qui ont concouru à la mutations de cet éthos, éclairé par l’approche de Balandier qui distingue la dynamique du dehors (facteurs externes) et la dynamique du dedans (vecteurs endogènes).

L’auteur a par ailleurs effectué des dépouillements considérables de matériaux d’enquête, à commencer par 261 entretiens réalisés pour les besoins de sa recherche. Pourquoi les protestants congolais de l’EEC ont perdu leur capital symbolique ? L’auteur analyse notamment les défis d’un environnement de résilience économique où la morale de survie prend le dessus.

Il traite aussi des effets de la mondialisation, et de la crise des instances classiques de socialisation: la famille, l’école, l’église font aujourd’hui face à une rude concurrence. Du côté des logiques internes, on constate dès lors une évolution vers la théologie de la prospérité, et/ou un phénomène de professionnalisation qui s’effectue au détriment de la dynamique vocationnelle. 78,16% des personnes interrogées estiment ainsi que la mutation de l’ethos protestant s’explique par le manque de vocation des pasteurs. Le pastorat au sein de l’EEC en vient même, parfois, à devenir un emploi par défaut, un gagne-pain, au lieu de correspondre à un appel vocationnel porté par de profondes convictions chrétiennes.

Autant d’analyses stimulantes, déployées sur 448 pages, et saluées par la mention « très honorable avec les félicitations du jury ».

Ces recherches enrichissent notre compréhension des recompositions protestantes au Congo Brazzaville.

On a hâte désormais d’en retrouver l’écho dans des enseignements, présentations et publications, à commencer par un livre, en cours de préparation. A suivre !