Une mission protestante postcoloniale au Mali

Retour sur une campagne d’évangélisation au Mali, conduite par l’Eglise Impact Centre Chrétien (ICC).

La « mission inversée » est à l’honneur (1). L’idée est simple : après avoir été longtemps évangélisés par les Européens, c’est aujourd’hui au tour des Africains d’évangéliser l’Europe. Retour à l’envoyeur ! L’idée n’est pas fausse.

Il est devenu fréquent d’observer des ministères africains s’étendre en Europe, implantant de nouveaux lieux de culte. Mais ce phénomène Sud-Nord se double d’une autre réalité, pour l’instant moins connue : de plus en plus d’Églises européennes composées en totalité, en majorité ou en partie d’afrodescendants sont arrivées à maturité. Et les voilà qui repartent en mission ponctuelle en Afrique sur des bases nouvelles. La mission Nord-Sud se trouve ainsi relancée, mais sur des modes postcoloniaux et coconstruits par un christianisme afropéen connecté, nourri de dynamiques d’ascension sociale et inséré dans des réseaux et territoires circulatoires.

La mission entreprise au mois de mars 2023 par l’église Impact Centre Chrétien (ICC) au Mali relève en large partie de cette logique.

Créée en 2002 par les frères Yves et Yvan Castanou, Impact Centre Chrétien (ICC), rattachée à la CEAF et à la FPF, a aujourd’hui atteint le stade de megachurch. Longtemps basée à Boissy-Saint-Léger (Val-de-Marne), elle a tenu son premier culte, à Pâques 2023, dans de nouveaux locaux multi-activités situés à Croissy-Beaubourg (Seine-et-Marne). Le nom du site, d’abord baptisé Autel Royal, est aujourd’hui celui de Cité Royale, articulant citoyenneté et « royaume de Dieu », thème qui occupe l’essentiel des paraboles attribuées à Jésus-Christ dans les Évangiles. C’est au nom des valeurs de solidarité et d’une exigence de témoignage attachées à ce « royaume » (2), que la megachurch ICC organise périodiquement des croisades / campagnes d’évangélisation outre-mer. Avec des intentions prosélytes explicites : l’idée est bien de faire des convertis, des « nés de nouveau », désormais porteurs d’une axiologie et d’un ethos ancré dans le christianisme. En mars 2023, c’est vers le Mali, pays actuellement en guerre contre le djihadisme, que se sont dirigées les équipes missionnaires mobilisées par le réseau francophone de l’Église ICC.

« Kana ne to n’tchoko la » (ne me laisse pas seul)

Intitulée « Cap Mali », la campagne a été organisée par Impact Sans Frontières, le réseau missionnaire mis en place par les Églises Impact Centre Chrétien, en collaboration avec une Église locale, celle d’ICC Bamako, basée dans la capitale malienne. Ce qui signifie que des chrétiens de nombreuses origines et nationalités ont participé. Toutes et tous issus des Églises ICC, plus de 300 chrétiennes et chrétiens bénévoles sont venus, à leurs frais, des Antilles et de Belgique, de France, du Sénégal et du Bénin… rassemblés par trois héritages en partage : la francophonie, un christianisme évangélique postcolonial et l’appel de la mission. Francophone ne veut pas dire monolingue : la mission a été prévue avec des traductions simultanées, en particulier vers le bambara, pour répondre à cet appel : « kana ne to n’tchoko la » (ne me laisse pas seul). Un appel chanté en chœur lors d’une soirée de louange et d’exhortation à Bamako.

Le programme de la campagne au Mali, dont l’activité principale s’est déployée sur sept jours – avec une forte préparation en amont -, a compris différents volets. D’abord, une phase de mise en place et de contacts, parachevée par une rencontre avec de nombreux pasteurs et responsables d’Églises au Mali, le 15 mars 2023. Ensuite, du 16 au 18 mars, le cœur de la « croisade » s’est déployé, à partir de différents axes. D’abord, des « actes de compassion » : plus de 3500 kits vestimentaires et d’hygiène, livrés par camion, ont été gratuitement distribués, selon les organisateurs, ainsi que des vêtements et plus de 2300 kits alimentaires (comprenant notamment gros bidon d’huile et sacs de riz). Un hôpital de campagne sommaire (tentes) a été également dressé, pour une journée, permettant des consultations médicales gratuites, assorties de diagnostics par des spécialistes, et distribution de médicaments. Les images filmées, que ce soit par ICC ou par la télévision malienne, ne laissent pas de doute sur l’affluence : les foules se déplacent ! (3) Avec une forte majorité de musulmans, conformément à la réalité confessionnelle du terrain. 108 professionnels de santé (infirmières et infirmiers, aides-soignants, médecins, chirurgiens, spécialistes) se sont consacrés bénévolement à ces consultations médicales, au nombre de 2200 selon les organisateurs. Un équipement de haute technologie pour les non-voyants a par ailleurs été offert.

Last but not least, une visite du Centre de Détention, de Rééducation et de Réinsertion pour Femmes et Filles de Bolle (CSDRF) a été organisée par le cercle des « Femmes d’impact » conduit par la pasteure Modestine Castanou, avec l’aval des autorités locales. Au menu, échange avec les détenues, et distribution de kits d’hygiène et de soin (serviettes hygiéniques, crèmes, eau de Cologne etc). Enfin, des séminaires de prière, d’exhortation, d’enseignement (traduit en Bambara) et de guérison, avec notamment à la clef une campagne de prière pour le Mali, et 140 « prières du salut déclarées », selon ICC, c’est-à-dire des Maliennes et Maliens considérés au départ comme non-convertis, qui se sont prononcés pour devenir chrétiennes à l’occasion de la campagne d’évangélisation. La télévision nationale malienne ORTM1, dans son journal du soir, n’a pas manqué de saluer l’ »élan de solidarité initié par Impact Sans Frontière », et le « ouf de soulagement pour les populations bénéficiaires » (dixit le journaliste malien). L’ORTM1, chaîne nationale malienne, a consacré 2 minutes et trente secondes de reportage en prime time.

Réseaux postcoloniaux de la francophonie

En dépit de l’ampleur considérable de l’événement, les bénévoles eux-mêmes qui ont rendu l’événement possible reconnaissent qu’il s’agit d’une « goutte d’eau », par rapport aux besoins. Le pasteur et apôtre Yvan Castanou lui-même semble avoir veillé à éviter tout triomphalisme, déclarant, au palais des sports de Bamako : « ne braquez pas les caméras sur moi mais sur Jésus ». Mais outre l’impact ponctuel, tangible pendant quelques semaines où le quotidien peut se trouver amélioré pour les personnes qui ont participé, deux autres logiques d’impact sont à relever.

D’abord, un impact symbolique. En réussissant cette mission spectaculaire, avec l’accord des autorités maliennes, alors même que ces autorités ont acté le départ des forces françaises du Mali (fin de l’opération Barkhane), les pasteurs Yvan et Modestine Castanou confirment la force des réseaux postcoloniaux de la francophonie, bien loin d’une « Françafrique » dépassée. Pur hasard ? Olivier Dubois, otage français au Mali depuis deux ans, a été libéré le lendemain de la fin de la campagne orchestrée à Bamako par ICC, chaleureusement accueillie par la population mais aussi par les autorités locales.

Ensuite, un impact confessionnel. Le Mali n’est pas une terre de persécution pour les chrétiens. Si l’islam y domine aujourd’hui largement, avec de surcroît la menace d’un islam politique persécuteur et violent contre lequel les autorités maliennes se battent avec énergie, le pays est pluraliste. Les religions traditionnelles (4) y subsistent, aux côtés de l’islam, du catholicisme et de diverses variantes de protestantisme, principalement de type évangélique. Mais la diversité n’implique pas une parfaite égalité. La liberté religieuse, hors de la religion principale (musulmane à plus de 90% de la population), n’est pas complète, notamment en matière de conversion. Dans ce contexte de discriminations sporadiques, la mission chrétienne d’ICC au Mali a permis de resserrer des liens avec des partenaires confessionnels clef, sur le terrain malien. Et de nourrir une solidarité chrétienne postcoloniale et francophone qui relie Caraïbes, Europe et Afrique de l’Ouest.

Outre le pasteur André, responsable d’Impact Sans Frontière, le pasteur principal d’Impact Centre Chrétien, Yvan Castanou, a également rencontré à Bamako, entre autres, le révérend docteur Nouh Ag Infa Yattara, délégué général de l’Association des Groupements d’Eglises et Missions Protestantes Évangéliques, l’apôtre Marc Diègnon Coulibaly, fondateur de la Mission d’Évangélisation et d’Implantation des Eglises (MIEE) qui compte plus de 150 églises au Mali et à l’étranger, et les responsables de l’Association des Missions et Églises Nationales pour le Réveil du Mali.

Pour conclure, Barbara Cooper annonçait déjà, en 2007, une « explosion pentecôtiste » dans le Sahel musulman (5). Le mot est fort. Depuis, une « explosion djihadiste » a changé la donne, nourrie par l’effondrement de la Libye, et la dissémination de ses arsenaux militaires parmi des milices islamistes déterminées. Mais le succès d’une mission francophone comme celle des pasteurs Yvan et Mode Castanou au Mali, en ce mois de mars 2023, illustre l’importance géopolitique des nouveaux territoires circulatoires chrétiens postcoloniaux : loin des vieux paradigmes paternalistes, ils jouent sur un respect collaboratif, l’approche holistique (spirituel, économique, médical), et une francophonie afrocentrée ouverte aux langues et cultures locales.

 

(1) Sandra Fancello, André Mary (éd.), Chrétiens africains en Europe, Prophétisme, pentecôtisme et politique des nations, Paris, Karthala, coll. « Religions contemporaines », 2010, 420 p

(2) Un « Royaume de Dieu » sur lequel le pasteur Yvan Castanou a rédigé plusieurs ouvrages, inspirés par l’un de ses mentors, Myles Munroe (1954-2014). Voir les quatre tomes de la série Yvan Castanou, Né de nouveau pour gouverner de nouveau, 1er tome paru en 2011 aux éditions Metanoia & Vie.

(3) Visionner « Documentaire sur la Campagne de Réveil – CAP SUR LE MALI » (lien : https://www.youtube.com/watch?v=OmZZCmFJByA)

(4) Amadou Kizito Togo, L’assaut des « nouvelles » religions au pays Dogon : islam, protestantisme et catholicisme face aux croyances traditionnelles, L’Harmattan, Paris, 2011.

(5) Barbara Cooper, Evangelical Christians and the Muslim Sahel, Indiana University Press, 2006, p.400.