Côte d’Ivoire : l’essor du pentecôtisme

Entretien avec le pasteur pentecôtiste Daniel Dissa Dao, du temple Bethsaïda à Yopougon. Dans cette immense commune populaire d’Abidjan, les Églises se multiplient.

 

Le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire partagent une foisonnante histoire commune, non sans turbulences. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire paraît paisible, à l’inverse d’un Burkina Faso tourmenté par la violence djihadiste et l’instabilité politique. C’est dans ce contexte sociopolitique que s’est déployée, depuis des décennies, une évangélisation pentecôtiste portée en particulier par les Assemblées de Dieu.

Comme l’observe l’anthropologue Pierre-Joseph Laurent, « le prosélytisme des Assemblées de Dieu participe d’une pacification qui fait suite à la violence engendrée par les multiples transformations de la société́ » (1). Exemple avec le pasteur Daniel Dissa Dao, Burkinabè venu développer le pentecôtisme en Côte d’Ivoire. On connaît Aya de Yopougon, héroïne BD de la talentueuse Marguerite Abouet. Mais il y a aussi des pentecôtistes à Yopougon ! Dans cette immense commune populaire d’Abidjan, les Églises se multiplient.

Pasteur du nouveau Temple Bethsaïda des Assemblées de Dieu à Yopougon (2), une megachurch située à Port Bouët II, le pasteur Dao nous partage des éléments de son parcours.

1/ Daniel Dissa Dao, pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Dao, je suis d’origine burkinabé, je suis pasteur principal de l’Église des Assemblées de Dieu de Yopougon, Port Bouët II. Nous avons inauguré dernièrement le temple Bethsaïda. Je viens d’une famille musulmane du Burkina Faso. Je suis né dans un village, de parents musulmans, avec un arrière-plan animiste. Et puis c’est un pasteur qui est venu, qui a prêché l’Évangile, j’ai cru au Seigneur Jésus -Christ. A l’époque il n’y avait pas d’autre église, on s’est engagés, cela nous a coûté la persécution. J’ai tenu bon, mon Dieu est un Dieu de pardon et de paix. Je me suis formé, j’ai ressenti l’appel de Dieu, je suis devenu pasteur pentecôtiste des Assemblées de Dieu. Je suis venu en Côte d’Ivoire comme à l’aventure en 1972, sous Houphouët Boigny. Puis j’ai voulu retourner en Haute-Volta pour aller faire l’école biblique , mais finalement, je suis reparti en Côte d’Ivoire. Dieu m’a dit « je t’envoie parmi les nations ». J’ai accepté, j’ai répondu à l’appel, j’ai annoncé l’Évangile en Côte d’Ivoire. Il y avait peu de pentecôtistes ici à l’époque. J’ai complété ma formation (3).

Je suis allé dans le Nord, dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire, où les ADD (Assemblées de Dieu) n’étaient pas du tout développées. C’était vraiment du travail pionnier. Puis j’ai eu une invitation à Bouaké, la seconde ville de Côte d’Ivoire. J’y ai œuvré sept ans comme pasteur, puis je suis venu à Abidjan en 1996. J’y suis resté, j’y œuvre comme pasteur tout en donnant des cours dans les instituts de formation des Assemblées de Dieu. Je fais partie aussi du comité de discipline des ADD, d’autres comités également, et je suis doyen de la pastorale ADD de la Côte d’Ivoire. Je suis là à Yopougon Port Bouët II pour partager l’Évangile, et faire en sorte d’aider à ce que les membres puissent vivre une vie chrétienne conséquente.

2/ Comment en êtes-vous arrivé à inaugurer cette megachurch Bethsaïda à Yopougon ?

C’est un long processus. Au départ, Port Bouët II était un projet d’annexe. Nous sommes parvenus à obtenir un terrain. C’était il y a vingt ans, au début des années 2000. Une grande mobilisation des fidèles a permis, par la grâce de Dieu, d’ouvrir ici un premier temple, dès 2001. Cela n’a pas été facile ! A un moment donné, l’Église a même été traduite en justice à cause du terrain. Mais les choses se sont apaisées.

L’œuvre n’a cessé de grandir depuis et nous avons dû envisager un agrandissement, pour un lieu de culte capable d’accueillir plus de 2000 fidèles.

Par la foi, et avec beaucoup de sacrifices, nous avons commencé cette œuvre à partir de 2011. La construction du temple actuel a été un miracle. Au départ, des frères parlaient de chercher des fonds, d’aller en France récupérer des fonds, ou d’aller aux Etats-Unis, ou d’aller voir l’Église-mère…. Moi, j’ai dit, « je n’irai ni aux USA, ni en France, les fonds viendront de nos propres efforts ».

Contre tous les pronostics, nous avons réussi, sur fonds propres. Chaque fois que nous en avons eu besoin, une personne adéquate s’est présentée à nous. Pour les carreaux en granite, par exemple, il se trouve qu’il y avait des Chinois qui exploitent le granite en Côte d’ivoire, on a pu faire affaire avec eux, on leur a dit OK, ils ont posé eux-mêmes les carreaux de granit. Même chose pour le revêtement extérieur en alucobond (panneau composite composé de deux tôles aluminium et d’un noyau de remplissage minéral, ndlr). Lors de toutes les commandes, à chaque étape, Dieu est intervenu. Ce fut une grande joie d’inaugurer le nouveau bâtiment le samedi 11 décembre 2021. La capacité totale du temple Bethsaïda de Yopougon est de 2200 places, sur une surface bâtie de 1710 m2 sur deux étages (4). Mais l’Église ce n’est pas le bâtiment. Nous avons eu ce mot d’ordre : « Bâtissons nos vies pour relever de nouveaux défis ». Ce qu’il faut bâtir avant tout, ce sont des vies qui honorent Dieu. Il y a 40 ans, il n’y avait aucune Église Assemblée de Dieu à Yopougon. Aujourd’hui, il y en a au moins une dans chaque quartier et les fidèles affluent.

3/ Comment voyez-vous l’évolution du christianisme en Côte d’Ivoire ?

Les choses ont beaucoup changé. Les Églises se multiplient en Côte d’Ivoire.

A côté de nos Églises pentecôtistes, il y a de plus en plus d’Églises de réveil. L’évangélisation a pris une autre forme, plus directe.

Vous trouverez qu’une femme ou un jeune homme vont devant un immeuble pour évangéliser, ils sont dans les rues, dans les cars, dans les lieux publics, au marché… Cela ne se faisait pas de cette manière auparavant. Il y a de plus en plus d’évangélistes dans les rues, c’est vraiment accentué. Pour certains, c’est un appel. Ils vont dans les carrefours, chacun fait ce qu’il peut faire à son niveau pour évangéliser. Le message de l’Évangile s’est beaucoup propagé, et beaucoup de musulmans se convertissent, mais souvent en cachette, car ils ont peur d’être exclus de leur famille. Ces derniers temps, les gens ont vécu des choses difficiles. Avec la guerre que nous avons eue il y a quelques années (crise de succession Gbagbo-Ouattara en 2011, ndlr), les gens ont pris conscience de leur besoin de Dieu. Ils sont interpelés. Il y a beaucoup de conversions. Pendant la pandémie du Covid, on a pu s’adapter, on a développé les cultes en ligne. On enregistrait en semaine, et on faisait passer sur internet le dimanche, les gens suivaient à domicile, en famille, prient, et l’Évangile est partagé.

4/ Quelles sont actuellement vos préoccupations principales en tant que pasteur ?

Les gens viennent, il y a assez d’âmes qui se convertissent, le problème est d’encadrer suffisamment. Dans ce but, nous avons dernièrement créé un nouveau séminaire pour former les âmes. Par « nouvelles âmes », je parle d’une part de ceux qui ne connaissent pas du tout le Seigneur au départ. Il faut prendre soin d’eux, savoir d’où ils viennent, essayer d’échanger avec eux. Et répondre à leurs questions lorsqu’ils désirent apprendre davantage. Mais il y a aussi des gens qui viennent d’autres assemblées. Abidjan est une très grande ville. Quand on arrive dans cette ville, il arrive qu’on ne connaisse personne. Nous avons mis un système sur pied pour que ces nouveaux fidèles aient des contacts, s’intègrent dans une cellule de maison, et puissent ensuite aller plus loin dans la formation. Au niveau des Assemblées de Dieu, nous en sommes désormais à quatre instituts de formation en Côte d’Ivoire. En réalité, c’est le même institut, mais réparti en quatre, avec les mêmes enseignements.

La demande est grande. Développer l’enseignement et la formation des chrétiens est une grande priorité, avec l’évangélisation et la mission.

Concernant la mission, nous contribuons à toutes les missions des Assemblées de Dieu. A deux niveau. Nous intervenons par le Bureau national de la mission, mais nous avons aussi un protocole locale d’aide. On envoie aussi de l’aide à l’étranger. Par exemple, nous avons soutenu un missionnaire, basé à Londres, venu nous demander de l’aide.

5/ Quelles sont vos relations avec les autres Églises, les autres religions, les politiques ?

Nos relations avec les autorités politiques sont bonnes. Quand on les invite, ils viennent. Au niveau chrétien, la plupart de nos relations s’inscrivent dans la Fédération Évangélique de Côte d’Ivoire, la FECI, qui rassemble beaucoup de monde. A la fois des œuvres, comme la Ligue pour la Lecture de la Bible ou l’Alliance Biblique, ou encore Campus pour Christ, et des Églises comme les Assemblées de Dieu à laquelle nous appartenons. Mais nous avons aussi des relations avec d’autres Églises, et également avec les musulmans. Les musulmans sont très présents à Yopougon. Lorsqu’ils ont leur carême, nous faisons toujours un geste en leur direction, nous leur offrons du sucre etc. Lors de l’inauguration de notre nouveau temple à Port Bouët II, nous avons invité leurs représentants et deux imams sont venus. Nous avons des relations de bon voisinage avec les musulmans.

(1) Pierre-Joseph Laurent, Les pentecôtistes du Burkina Faso, Mariage, pouvoir et guérison, Paris, Karthala, 2003, p.411.

(2) Yopougon est la commune la plus peuplée de la capitale ivoirienne, Abidjan. Sa population est estimée, en 2023, à près de 2 millions d’habitants.

(3) Il entre au centre de formation des ADD de Côte d’Ivoire en décembre 1977, cf. Emmanuel Kouassi N’Guessan, Ce que j’ai vu, entendu et touché, Historique de l’Église des Assemblées de Dieu de Côte d’Ivoire, Presses Bibliques Africaines, 2009, p.26. (4) Cf. brochure « Spéciale dédicace, Église des Assemblées de Dieu », Yopougon Port-Bouët 2, décembre 2021 (20p).