Réveil protestant postcolonial en Afrique de l’Ouest

Réveil protestant.

L’expression est parfois galvaudée et imprécise.

Pour être utilisée à bon escient, elle demande une mise en perspective historique et une approche multifactorielle.

 

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Les mutations religieuses de l’Afrique de l’Ouest se prêtent à cette analyse. Depuis au moins trente ans, un « Réveil » s’y produit. Il renvoie à des recompositions profondes, marquées par une forte poussée d’Églises nouvelles.

Mais qu’entend-on par Réveil ? Le terme, largement familier aux historiens des protestantismes, désigne une phase de remobilisation militante caractérisée par des effets individuels (conversions), ecclésiaux (création de nouvelles Églises) et sociétaux (mise en place de nouvelles œuvres sociales, etc). Ce qui demande, par conséquent,  une inscription dans le temps qui dépasse l’effervescence de quelques semaines ou de quelques mois.

Depuis trente ans, soit une génération, tous ces éléments propres au « Réveil » ou au revivalisme (dynamique des réveils) se retrouvent dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest. L’occasion d’une mission de recherche en Côte d’Ivoire a donné l’opportunité d’en constater, sur le terrain, les très nombreux effets. Décryptage.

Chronologie du revivalisme protestant en Afrique de l’Ouest

La chronologie contemporaine de ce revivalisme ouest-africain est distincte de ce qu’on observe au Congo Brazzaville et au Congo RDC, où un vif revivalisme pluri localisé s’affirme dès les années 1960-70 (1). Elle s’inscrit dans l’héritage spécifique d’une aire marquée par une forte histoire culturelle et économique partagée, et par la colonisation française. Le gouvernement général de l’Afrique Occidentale Française (AOF) s’est déployé entre 1895 et 1958, fédérant huit colonies françaises sur une surface équivalant à sept fois la superficie de la France métropolitaine.

Dans ce contexte de la colonisation, une première séquence, jusqu’en 1958, est marquée par une double dynamique : la forte consolidation d’Églises européennes (catholique surtout, et protestante) implantées à la suite de la grande vague missionnaire européenne du XIXe siècle, et la naissance, à la marge, d’Églises indépendantes d’initiative africaine. Celle du prophète William Wade Harris, en Côte d’Ivoire, est une des plus célèbres en Afrique de l’Ouest. Principalement implantée dans le Sud de la Côte d’Ivoire, cette Église connaît un grand succès, mais subit aussi d’importantes persécutions. Autre Église indépendante qui naît durant la période, dans la même aire culturelle ouest-africaine : l’Église du Christianisme Céleste, fondée par Samuel Oshoffa en 1947 au Dahomey (actuel Bénin). Inscrite dans la tradition des Églises aladura (Nigeria), elle repose sur prophétisme, biblicisme et ascèse (interdits alimentaires). La férule coloniale de s’accommode guère de ces mouvements religieux chrétiens autochtones.

Une seconde séquence s’ouvre après la décolonisation. Elle correspond, si l’on veut, à une seconde génération, de la fin des années 1950 à la fin des années 1980. Cette génération a directement géré les suites de la décolonisation formelle, dans un contexte où la « françafrique » (néocolonialisme informel) maintient, de fait, une très forte influence régionale française.

Avec le recul, cette seconde phase, qui conduit jusqu’à la fin des années 1980, pourrait être décrite comme une séquence de transition. Les Églises européennes (Église catholique, Eglises réformées, méthodistes, baptistes etc.) conservent une forme d’hégémonie sur le champ religieux chrétien, mais sur le mode d’une stabilisation et d’un transfert de responsabilités. Quant aux Églises indépendantes, elle connaissent, quant à elle, une nette progression, mais sous contrôle. Le Dahomey autorise l’Église du Christianisme céleste dès 1965. Le même scénario de reconnaissance s’observe avec l’Église harriste en Côte d’Ivoire après la décolonisation. Cette séquence (de la fin des années 1950 à la fin des années 1980) est marquée aussi, sur le plan politique, par la mise en place d’un « contrat social postcolonial ». Il est piloté par des élites issues du système colonial, aux prises avec le défi de la fabrique d’un État moderne.

La troisième séquence, qui s’est ouverte depuis les années 1990, est marquée par l’accession d’une nouvelle génération aux manettes du pouvoir, mais aussi dans l’économie, la culture et… la religion. On entre aussi dans un monde multipolaire (chute du Mur de Berlin en 1989), qui démonétise l’utopie politique communiste, comme l’illustre la trajectoire politique du Bénin : dès 1974, le régime de Mathieu Kérékou avait adopté le marxisme-léninisme comme idéologie officielle…. La page est tournée en 1990 avec la rédaction d’une nouvelle Constitution et le passage au multipartisme. Dans un monde plus incertain, où la dynamique postcoloniale et panafricaine s’accélère, la religion constitue, plus que jamais, une valeur refuge et un creuset de mobilisation (2). Par sa structure décentralisée et « bottom-up », sa souplesse organisationnelle et le rôle qu’il accepte de donner aux femmes, le protestantisme, dans ses versions évangéliques et pentecôtistes, a le vent en poupe.

Au côté des Églises indépendantes nées sous la colonisation, de très nombreuses Églises évangéliques, pentecôtistes, prophétiques revivalistes se développent depuis les années 1990.

Certaines étaient déjà présentes auparavant, comme par exemple, les puissantes Assemblées de Dieu (ADD), fer de lance du pentecôtisme, ou le Centre International d’Evangélisation / Mission Intérieure Africaine du pasteur Mamadou Karambiri, au Burkina Faso, fondé dès 1987. Mais le processus ecclésiogène connaît un effet d’accélération considérable, avec une multiplication spectaculaire d’Églises d’initiative africaine. Ces nouvelles Églises oscillent entre « boutique de Dieu » isolée – expression de Calixthe Beyala – (3) et réseau dénominationnel missionnaire, comme l’Église Vases d’Honneur à Abidjan, conduite par le pasteur Mohammed Sanogo, fondée en 2002. Que ce soit en matière de marquage religieux de l’espace public, en matière d’offre médiatique (radios, chaînes de télévision, internet), d’ancrage des lieux de culte, d’enregistrement de nouvelles dénominations, de création d’œuvres, tous les indicateurs convergent pour confirmer le déploiement actuel de ce Réveil protestant postcolonial et francophone…. qui attire désormais l’attention des acteurs religieux et politiques de l’Afrique anglophone.

Logiques d’impact démographiques, sociétales, spatiales

En attendant le livre de synthèse qu’il faudrait écrire sur ce vaste mouvement de réveil, signalons, pour conclure, trois logiques d’impact.

– D’abord, sur le plan démographique : en Côte d’Ivoire, le recensement général de 2021 pointe 39,8% de chrétiens, contre 33,9% au recensement de 2014. Presque six points de hausse en sept ans ! L’essor des Églises évangéliques postcoloniales de toute tendance est le principal facteur d’explication de cette carte confessionnelle qui se redessine.

– Seconde logique d’impact sur le plan socio-politique. Même s’il reste moins net qu’en Afrique de l’Est, l’influence des « nouveaux christianismes » ouest-africains (4) contribue à renouveler le champ politique et social, et génère des offres alternatives, de plus en plus concurrentielles et diverses, en matière scolaire, médiatique, culturelle.

– Enfin, sur le plan des logiques spatiales, ce Réveil chrétien postcolonial et francophone oscille entre panafricanisme (apolitique), par les chrétiens africains et pour l’Afrique, et une dynamique missionnaire mondiale, à l’image de l’implantation des Églises Vases d’Honneur, nées en Côte d’Ivoire, en région parisienne et à Montréal.

(1) Sarah Demart, Les territoires de la délivrance. Le Réveil congolais en situation postcoloniale (RDC et diaspora), Karthala, 2017

(2) Sur ces recompositions, un livre clef, Laurent Fourchard, André Mary, René Otayek (dir), Entreprises religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest, Karthala, 2005

(3) Calixthe Beyala, Le Christ selon l’Afrique, Albin Michel, 2014

(4) Sébastien Fath et Cédric Mayrargue (dir), Les nouveaux christianismes en Afrique, revue Afrique Contemporaine, n°252, 2005