Eglises coréennes en France et enjeux d’adaptation

Le saviez-vous? Il existe aujourd’hui plus d’une vingtaine d’Eglises coréennes actives en France métropolitaine.
Appuyées d’abord sur la diaspora sud-coréenne de l’hexagone, prosélytes et dynamiques, elles font face à des enjeux d’adaptation à la francophonie qui attirent l’attention de pasteurs français.

Qu’on rencontre des Eglises chinoises en France n’est pas très surprenant au vu du poids démographique de l’Empire du Milieu. En revanche, il est plus étonnant de découvrir des Eglises coréennes au pays de Voltaire. La lointaine Corée du Sud n’est-elle pas située à plus de 9000 kilométrés de Paris ? La présence protestante sud-coréenne est pourtant substantielle dans l’hexagone. Fer de lance de la vitalité contemporaine du calvinisme en Asie du Sud-Est, elle contribue à élargir la palette des nuances francophones d’un protestantisme plus que jamais multipolaire.

On compterait aujourd’hui un peu plus d’une vingtaine d’Eglises coréennes en France métropolitaine. Un travail universitaire complet sur les Églises coréennes à Paris a été effectué en 2002 par la chercheuse Hui-Yeon Kim. Cette spécialiste de l’évangélisme coréen[1] répertoriait alors 14 assemblées coréennes, rien qu’à Paris. Toutes n’appartiennent pas à des dénominations évangéliques. Bon nombre sont réformées (calvinistes). Mais elles affichent presque toutes, par delà les étiquettes, une sensibilité évangélique tournée vers l’expression orthodoxe de la foi et le prosélytisme. Deux autres caractéristiques marquent ces Eglises : elles valorisent un contrôle social serré (discipline), et se montrent prudentes dans l’ouverture multiculturelle. Est-ce-à dire que ces Eglises coréennes en France échapperaient aux problématiques francophones ? Non, loin s’en faut. Même si elles s’appuient principalement sur la diaspora coréenne en France, elles font aussi des efforts en direction des Français et des francophones. Elles vont même jusqu’à développer des stratégies missionnaires Nord-Sud en direction de l’Afrique subsaharienne, au nom d’une exigence de Réveil évangélique portée par une forte pratique de la prière.

Hymnes coréens à la Chapelle Taitbout (Paris)

Symbole de cette énergie tournée vers le réveil et l’évangélisation : l’une de ces Églises coréennes de Paris, d’étiquette baptiste, occupe aujourd’hui les locaux de la fameuse chapelle Taitbout, haut lieu du Réveil évangélique parisien au XIXe siècle ! Après y avoir chanté César Malan et les “cantiques de Sion”, on y chante aujourd’hui des hymnes en coréen. Une autre de ces Églises locales étudiées par Hui-Yeon Kim, l’Église évangélique protestante de toutes les nations, pousse l’audace jusqu’à envoyer des missionnaires coréens francophones…. au Burkina Faso. Aux yeux de certains protestants coréens, les Églises protestantes françaises passent aujourd’hui pour beaucoup trop timides dans la mission. Et si des Sud-Coréens tentaient de faire ce que les Français ne font plus ? Annoncer le Christ à “toutes les nations”. Ce protestantisme coréen présent en France porte en interne un discours très critique vis-à-vis de ce qui est perçu comme une démission des Français. A certains égards, on observe un dépassement du national par un prosélytisme transnational qui entend se substituer au protestantisme vernaculaire.

Dans sa thèse de doctorat, Hui-Yeon Kim a étudié ces projections internationales au travers de l’exemple de la Full Gospel Church, la plus grande megachurch sud-coréenne, conduite à Séoul par Cho Yonggi. Elle souligne que les Églises pentecôtistes coréennes dites transnationales font circuler des imaginaires liés à leur pays d’origine[2]. Le « marché pentecôtiste » à l’échelle mondiale est très segmenté. Le message supposé universel de chaque Église s’adresse en réalité avant tout d’abord aux populations à même de comprendre ces symboles ancrés nationalement. La chercheuse parle d’un « transnationalisme du national ». Avec un défi en matière de rencontre : comment articuler cet élan protestant coréen avec des dynamiques culturelles proprement francophones ?

“Un Coréen dans la ville” ?

Un débat entre deux pasteurs pentecôtistes français, en 2013, illustre ce dilemme : le premier pasteur, Samuel Foucard, réagit à la visite en France du pasteur Choi Nam-Soo en avril 2013 et à l’événement “Paris pour Christ” tenu en mai 2013 avec le pasteur sud-coréen Lee Young Hoon. Il s’indigne des procédés des pasteurs sud-coréens en question, qu’ils juge inadaptés au contexte français. Sans avoir lui-même assisté aux réunions, il se réfère à un des slogans qui auraient été prononcés, à savoir «Trois ans de prière pour le pays et le réveil vient en France» ! Et se fend de ce commentaire cinglant : “J’aurais volontiers ri, si ce n’était pas à pleurer. Je ne sais pas si notre Coréen de service, venu pour les Parisiens à l’origine, a vraiment osé dire ce genre de choses, mais si c’est le cas, il a bien fait de retourner en Corée”[3]. A la véhémence nationaliste de ce pasteur répond un autre pasteur pentecôtiste français, Franck Pécastaing, qui, lui, a assisté et participé aux événements en question. Ce pasteur met l’accent sur l’engagement spirituel et la détermination décomplexée des Sud-Coréens : au-delà des questions de méthode, l’enjeu est pour lui d’atteindre cet “objectif pour aider l’Eglise de France à retrouver un zèle durable dans l’intercession pour la nation”. Au-delà du débat des personnes, ce sont deux options de fond qui s’opposent ici, entre d’un côté, la crainte d’une transnationalisation inadaptée et artificielle, et, de l’autre, le pari d’une nouvelle bouture francophone, porteuse de fruits pour l’hexagone.

[1] Kim Hui-Yeon, Évolution et mutation du protestantisme coréen à Paris, DEA, Paris, EHESS, 2002.

[2] Kim Hui-Yeon, « Le « pentecôtisme coréen » à l’épreuve de la transnationalisation: le cas de l’Eglise de Plein Evangile de Cho Yonggi », thèse EHESS 2011.

[3] Samuel Foucard, “Un Coréen dans la ville”, posté sur ActuChrétienne.net le 28 mai 2013; et réponse de Franck Pécastaing, «Est-il inadmissible qu’un pasteur coréen vienne en France pour nous encourager ?», posté sur ActuChrétienne.net le 28 mai 2013.