Marie Lumière, « Bureau » prophétique au Cameroun

Figure charismatique fédératrice, Marie Lumière, au Cameroun, conduit depuis 1982 un ministère prophétique toujours très vivace en francophonie.

Portrait n°10 de notre série de l’été : chaque semaine, des portraits de femmes africaines qui ont marqué leur pays. Douze « amazones du Seigneur ».

Comment mieux partager le gâteau ? Dans le concert des options, la voix des prophétesses a son mot à dire… Entre 2001 et 2010, six des dix pays avec le taux de croissance économique le plus élevé au monde sont africains : l’Angola (1er), le Nigeria (4e), l’Ethiopie (5e), le Tchad (7e), le Mozambique (8e) et le Rwanda (10e). Ces données invitent à développer l’hypothèse d’une émergence africaine en matière économique. Cette émergence serait caractérisée par un taux de croissance à deux chiffres, l’essor de la classe moyenne, la démocratisation de l’accès aux nouvelles technologies, et un regain d’investissement privé. A rebours de l’afropessimisme, ces indicateurs nous invitent à réviser les clichés sur l’Afrique, en perpétuel retard de développement.

Mais la route est longue pour écarter les prédations néocoloniales et l’essor des inégalités. Comment faire pour accompagner les catégories populaires, les relégués, les exclus de la croissance ? C’est là qu’interviennent ce que le sociologue Jean-Claude Girondin appelle les « Eglises Providence ». Qui tentent, par leur vie communautaire, de compenser un peu ce que la redistribution étatique n’effectue pas suffisamment. C’est sur ce terreau aussi que grandit un christianisme prophétique à vocation thérapeutique. Sectaire, ou pas, il est porté par des figures charismatiques fédératrices comme Marie Lumière, au Cameroun, qui conduit depuis 1982 un ministère prophétique toujours très vivace en francophonie.

Des prédispositions pour l’engagement religieux

Née en 1957 à Bandjoun en milieu catholique, la Camerounaise Marie Rosine Djuidje, dite Marie Lumière, manifeste très tôt des prédispositions pour l’engagement religieux. Pieuse, inspirée, éloquente, elle affirme entretenir une relation privilégiée avec le Divin. Mariée à René Wambo en 1976, installée à Douala en décembre 1979, elle est reconnue comme prophétesse à partir de 1982 et collabore avec Jean Ernest Wambo, dit Père Soffo, prophète né à Bandjoun vers 1946. Ce dernier, baptisé dans l’Eglise évangélique, rejoint ensuite le catholicisme (sacrement de confirmation) puis développe un itinéraire personnel qui emprunte à la fois au catholicisme (rôle de la Vierge Marie et de l’eau bénite, notamment) et au protestantisme (rôle des laïcs). Resté assez énigmatique, le père Soffo n’en développe pas moins un réseau religieux important, fondé sur la prophétie, la prise en charge de la souffrance et une mystique de l’unité puisée dans les traditions « purifiées » de son pays. Après son décès en 2015, Marie Lumière reprend, seule, le flambeau de la direction du mouvement prophétique…. Et celui-ci se développe encore davantage, sous l’étiquette « Bureau Lumière ».

Le Bureau Lumière proprement dit est installé sur le mont Bankolo à Yaoundé, ainsi qu’à Douala, mais de nombreux cercles qui lui sont rattachés sont implantés dans toutes les régions du Cameroun. Au-delà, des antennes sont implantées jusqu’en Europe (France, Allemagne…). Des dizaines de milliers de fidèles suivent l’enseignement thérapeutique, moral et prophétique de Marie Lumière, qui se différencie à la fois du catholicisme et du protestantisme local, tout en reprenant des éléments chrétiens de chaque confession, avec un accent sur la compassion et la bénédiction. Les médias camerounais et d’Afrique de l’Ouest rapportent régulièrement ses déclarations et déplacements. En 2016, elle enseigne la foi et la patience dans un « message au monde » publié sur son portail internet :

« Il ne faut pas perdre le temps à réfléchir sur ce que vous n’aurez jamais. Si vous sollicitez quelque chose, confiez vous à DIEU, S’il ne vous l’accorde pas, ne forcez pas, peut-être il voit que s’il vous accorde ce que vous demandez, on risque vous perdre. Il préfère vous laisser tel que vous êtes pour que vous viviez. La patience permet à l’homme de vivre longtemps. Actuellement dans ce monde les hommes aiment aller très vite, pour obtenir rapidement ce qu’ils désirent. » [1]

La restauration plus que la performance

Répudiant une pensée magique du « tout tout de suite », elle appelle à l’effort, la foi, la sainteté, le travail sur soi, s’attirant des bienveillances bien au-delà de son cercle de fidèles. Dispensant régulièrement des messages prophétiques, réputée être un canal de divers miracles de guérison, Marie Lumière s’assure une notoriété au Cameroun et dans toute l’Afrique de l’Ouest francophone. Elle voyage notamment au Togo, au Bénin, au Burkina Faso où elle est reçue avec les honneurs par le nouveau président Roch Marc Christian Kabore (2015). Ses moyens restent cependant modestes, et le projet de centre hospitalier, développé à l’occasion du 35e anniversaire de l’œuvre (en 2017) n’avance que lentement. Mais la ferveur populaire reste vivace.

Ni vraiment catholique, ni vraiment protestante, cette prophétesse camerounaise d’aujourd’hui entre-t-elle dans les logiques d’adaptation des nouveaux christianismes (néocharismatisme) au néolibéralisme ? Celles et ceux qui tiennent à ce schéma trouveront, dans son ministère, quelques éléments à l’appui de l’hypothèse. Marie Lumière est bien une femme entrepreneure, qui participe au « changement du rôle de la femme camerounaise » [2] dans la direction d’une initiative accrue et d’une logique de performance. Mais à l’image de nombreux mouvements évangéliques -auxquelles elle n’appartient pas, tout en partageant certains aspects de leur offre spirituelle [3]-, son ministère prophétique apparaît surtout comme une offre de résistance aux effets désocialisants du néolibéralisme. Aux demandes de vitesse, de consommation, de réussite immédiate, de rationalisation instrumentale, d’éviction du spirituel, elle oppose la patience, le travail, la foi et le miracle, dans un cadre qui valorise la communauté et la restauration.

[1] Marie Lumière, » Message de la Prophétesse Marie Lumière au Monde, Acte (5) – 2016″, site http://bureaulumiere.com/

[2] Sariette Batibonak, « Entrepreneuriat et changement du rôle de la femme camerounaise », in Fatou Sow, La recherche féministe francophone, Paris, Karthala, 2009, p.613-630.

[3] Lire Edmond VII Mballa Elanga »Les transformations des rapports sociaux de genre au sein des familles des femmes converties au pentecôtisme à Yaoundé », , in G. Malogne-Fer et Y. Fer (dir.), Femmes et pentecôtismes, Genève, Labor et Fides, 2015, p.61 à 86.