Les Eglises francophones d’expression africaine

Ces Eglises locales francophones ont un passé, des archives, une mémoire, des figures fondatrices, qui s’inscrivent pleinement dans le grand récit protestant français. L’occasion de se pencher sur les recherches et la thèse de Majagira Bulangalire.

La France métropolitaine compte aujourd’hui près de 200 Eglises locales ou paroisses protestantes alimentées en majorité par les diasporas congolaises. Ces Eglises sont parfois des Eglises « ethniques », par et pour les Congolais, mais il s’agit d’une minorité. A l’image des assemblées de la CEAF[1] (rattachée depuis 2003 à la FPF), la grande majorité de ces Eglises locales se veulent actuellement ‘d’expression africaine’. On peut être blanc d’ascendance métropolitaine, et préférer les expressions africaines du christianisme, tout comme être noir afro-descendant et préférer les traditions cultuelles héritées d’Europe : ce n’est pas l’origine ou la couleur de peau qui définissent nécessairement l’appartenance, mais un faisceau d’arbitrages qui jouent beaucoup sur le choix de style liturgique et d’orientation théologique.

Cette option qui refuse l’enfermement communautaire a été choisie par les Eglises de la CEAF mais aussi par celles de l’ECOC (union rattachée au CNEF), dont le sens des initiales est passé de « Entente Congolaise des Œuvres Chrétiennes » (2001) à « Entente et Coordination des Œuvres Chrétiennes » (2008). On traduit ainsi un désir de sortir d’une étiquette nationale, au profit d’une hospitalité chrétienne sans exclusive. De fait, nombre de retours d’expérience font état de la générosité d’accueil de ces assemblées, quelle que soit l’identité culturelle ou linguistique des nouveaux fidèles. Une construction sociale fixiste de la réalité protestante nie (ou passe sous silence) leur histoire partagée. Mais ces Eglises locales francophones ont un passé, des archives, une mémoire, des figures fondatrices, qui s’inscrivent pleinement dans le grand récit protestant français. Il faut saluer ici l’oeuvre de Majagira Bulangalire, à qui l’on doit la première thèse de doctorat sur la question.

Une thèse EPHE pionnière

Soutenue en 1991 à l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV), cette passionnante thèse de doctorat d’Histoire et d’Anthropologie des Religions s’intitule « Religions et intégration à la société française dans la période actuelle ». Elle a été soutenue trois ans après que trois Eglises congolaises se constituent, en France, en CEZAF (Communauté des Eglises Zaïroises en France, 1988), ouvrant la voie à la structuration progressive d’un nouveau réseau protestant francophone.

Riche à la fois en éléments factuels, en profondeur analytique et en pistes de réflexion, la thèse de Majagira Bulangalire a été dirigée par Jean Baubérot (EPHE). Elle est sous-titrée « Le cas des négro-africains en région parisienne et des protestantismes ». Elle comporte 406 pages dactylographiées, et se structure en deux livres. Le premier s’intitule « Les communautés négro-africaines, lieux d’intégration ou de ghettoïsation ? ». Ce volet retrace la constitution des premières communautés protestantes africaines en région parisienne, en « milieu post-industriel » (chapitre 1), et éclaire l’importance des « groupes » insérés dans des églises existantes (chapitre 2). Le second livre a pour titre « Les Eglises protestantes de la région parisienne, lieux d’accueil ou d’intégration de la minorité négro-africaine ? ». Il se découpe entre un chapitre 1 qui jette un regard rétrospectif sur les relations entre protestantisme français et immigration, un chapitre 2 qui s’interroge sur l’accueil ou l’intégration reçus dans les paroisses existantes de région parisienne, et un chapitre troisième intitulé : « Des communautés multiculturelles ? ».

Comme le fait observer Sarah Demart, l’auteur « constate que les Eglises d’origine africaine, principalement zaïroises, sont éclatées alors qu’elles se confrontent à des difficultés de même ordre, notamment en termes de légitimité liturgique dans leurs rapports avec les Eglises protestantes qui les hébergent »[2]. Majagira Bulangalire développe aussi, bien avant que cela devienne à la mode, une réflexion de fond sur l’interculturalité chrétienne, plaidant in fine pour un « repositionnement nouveau », débarrassé des habitudes et des « méfaits de la mentalité post-coloniale », qui permette une « véritable rencontre » plutôt qu’un scénario d’ »explosion conflictuelle » (p.372).

Typologie des formes d’accueil

On notera aussi, parmi bien d’autres apports, cette typologie des formes d’accueil, très suggestive, proposée entre les pages 350 et 360 de la thèse. Quatre types sont détaillés. L’auteur distingue d’abord « l’accueil intégration/assimilation » (1/4). Le processus d’accueil est alors individuel, sans souci de la dimension communautaire ou d’une forme de rencontre culturelle. Il s’opère sur la base d’une cohabitation séparée. La collaboration, « limitée à la participation au culte commun, est signe d’une nette séparation » (p.352). L’accueil « intégration/participation » (2/4) valorise quant à lui une transformation au niveau liturgique, et une recherche utopique d’église multiculturelle. L’accueil « intégration/co-opération » (3/4) est moins pratiqué, selon Maljajira Bulangalire. Il mobilise une collaboration paritaire et créative entre partenaires métropolitains et africains. Enfin, l’accueil « intégration/séparation » (4/4) consiste en une « mise à disposition de salle » (p.357), sans échange ni rencontre régulière.

Comme trop de travaux pionniers, en avance sur les mentalités, la thèse de doctorat de Majagira Bulangalire n’a jamais été publiée. C’est d’autant plus regrettable qu’elle répondait aux critères de scientificité et de clarté qui justifient une diffusion large. Il reste que ce mémoire de thèse a ouvert la voie des études en sciences sociales sur les Eglises francophones afroculturelles, et irrigué de nombreuses recherches ultérieures. Si les réflexions sur la francophonie protestante et sur la recomposition des identités chrétiennes sont aujourd’hui sorties du ghetto, c’est en partie à Majagira Bulangalire qu’on le doit ! Qu’il en soit remercié.

[1] Communauté des Eglises d’expressions Africaines de France (CEAF). Son site internet est http://www.ceaf.fr/

[2] Sarah Demart, Les territoires de la délivrance, thèse de doctorat Toulouse Le Mirail / Université Catholique de Louvain la neuve, 2010, p.363.