Gospel francophone : un « palier de reconnaissance »

Si le Gospel a atteint aujourd’hui une première forme de reconnaissance dans l’espace francophone, c’est d’abord parce que cette musique est très populaire.

 

Comme le fait remarquer le chantre Marcel Boungou, même les publics catholiques franciliens « préfèrent aller entendre du Negro Spiritual et du Gospel plutôt qu’un sermon à la messe »(1) . Au-delà des publics catholiques, nombre de non-croyants, qu’ils soient agnostiques ou athées, jouissent à l’occasion des concerts Gospel proposés, au titre d’une curiosité de mélomane. Quant à celles et ceux qui souhaitent aller plus loin, et quitter le statut de spectateur et d’auditeur pour se positionner comme acteur, les solutions existent. Depuis quelques années, un nombre croissant de cours de chant Gospel est en effet proposé, et pas seulement dans la capitale !

L’adaptabilité est de règle

Ces cours sont souvent dispensés dans un cadre ecclésial, généralement protestant, mais d’autres espaces en proposent aussi. « Sister Nat », par exemple, ancienne élève du Théâtre National de Strasbourg, dispense ses cours de Gospel dans des salles de répétition « laïques » sans lien avec une paroisse. Interrogée pour savoir s’il faut croire en Dieu pour chanter du Gospel, elle affirme que « c’est mieux » de croire… mais que ce n’est pas obligatoire. La fluidité et la transversalité de l’offre de musique Gospel se retrouve ici. On l’observe en matière de public, en matière de groupes, en matière d’offre musicale (concerts, animations, cours) et en matière de répertoires.

Le mix d’ingrédients est relativement stable : il faut une chorale, de la bonne humeur, un axe thématique tourné vers la « Bonne Nouvelle » de l’Evangile et une inspiration biblique tournée vers l’émancipation. Comme l’exprime le descriptif donné par le groupe « Gospel pour 100 voix », on se situe à la « rencontre de la douleur des esclaves noirs et de la joie de vivre des Caraïbes ».

Mais sur la base de quelques invariants qui permettent d’identifier ce genre musical, l’adaptabilité est de règle. Cette musique s’hybride, innove, et se conjugue aussi bien en plat principal qu’en entrée ou en dessert. Ainsi, au-delà des concerts explicitement estampillés « Gospel », les nouveaux groupes montent aussi volontiers sur la scène, comme à l’Olympia, pour accompagner Dee Dee Bridgewater, Manu Dibango, ou Gérard Lenormand à La Cigale…. Même Florian Pagny, interprète de Oh Happy Days, fait appel à eux pour un de ses albums.

Un palier est atteint

Depuis quelques années, un premier « palier de reconnaissance » a été atteint. Le marché s’est stabilisé, de grands groupes se sont professionnalisé, la notoriété est là. Portés par un large réseau d’églises évangéliques et adventistes d’immigration récente, implantées dans des conditions souvent très précaires en banlieue parisienne, les ensembles vocaux ont conquis une visibilité et une popularité qui ne se dément pas.

Ce palier de reconnaissance induit deux logiques d’impact. La première touche naturellement le public, qui s’est habitué au « rendez-vous avec le Gospel », et se familiarise peu à peu avec cet univers. La seconde touche…. les interprètes, les choristes et les cercles qui soutiennent directement les groupes musicaux.

Thérapie du ressentiment et désenclavement

Retenons en particulier deux effets sociaux sur les actrices et acteurs du Gospel francophone. Le premier est celui de la « gestion du stigmate » lié à l’immigration, la couleur de peau, l’héritage colonial. En réinterprétant devant de larges publics, et devant des caméras bienveillantes, la théodicée de la « sortie d’Egypte » et de la « nouvelle naissance », à la racine du répertoire Gospel, les ensembles vocaux proposent une véritable « thérapie du ressentiment », transformant le poids des discriminations (passées ou présentes) en libération et en fierté sous la bannière d’un Dieu libérateur.

Le second effet social de ce palier atteint est la mise en place d’un réseau à l’interface entre acteurs religieux afro-caribéens (pasteurs, prophètes, évangélistes, apôtres…) et le grand public. Par leur capacité à rassembler et dynamiser les réseaux religieux d’invitation(2) , les groupes Gospel ont développé une « centralité d’intermédiarité », comme l’écrit le sociologue Baptiste Coulmont, contribuant au désenclavement de cultures minoritaires désormais conviées au centre du « grand récit de la francophonie ».
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(1) Marcel Boungou, Du Gospel à l’Evangile, p.59.

(2) Voir Baptiste Coulmont, blognotes, « Des réseaux religieux d’invitations » et « Identifier des acteurs importants » (publiées les 11 et le 16 février 2011 sur http://coulmont.com/blog/).