Au Niger, une francophonie protestante et catholique touchée au coeur

La vague d’attentats qui a frappé la France entre les 7 et 9 janvier 2015 a entraîné la mort de 17 personnes.
Mais la liste des victimes s’est allongée depuis… à des milliers de kilomètres de Paris.

 

 
Souhaitant réaffirmer son existence et sa ligne, Charlie Hebdo a en effet publié un nouveau numéro, une semaine après le carnage qui a décimé sa rédaction. En couverture ? Un homme enturbanné qui affirme (belle formule), « Tout est pardonné ».

Rien n’indique, sur l’image, qu’il s’agit du Prophète Mahomet. Mais beaucoup l’ont interprété comme cela. Problème : pour de très nombreux musulmans, la représentation du principal prophète de l’islam est interdite, même si le Coran lui-même ne le spécifie pas. Des provocateurs et incendiaires, souvent financés, en sous-main, par les mêmes pétrodollars qui sponsorisent de grands clubs de football, ont alors saisi l’occasion pour faire de la surenchère. Ils ont mobilisé les foules (800.000 manifestants à Grozny !). Menacé les intérêts français. Et attaqué de nombreux lieux de culte chrétiens.

72 églises dévastées au Niger

C’est au Niger, ancienne colonie française composée à 80% de désert, que la mobilisation anti-Charlie est allée le plus loin. Dans ce pays à 98% musulman, doté d’une toute petite minorité catholique et protestante, la colère a embrasé la rue, et a tué des chrétiens. Bilan, dix morts, dont un fidèle brûlé vif dans une église par une foule musulmane surexcitée. Et des dizaines d’églises (45 à Niamey, 72 en tout), saccagées et détruites. C’est énorme ! Un petit bout de francophonie protestante et catholique au Sahel s’est retrouvé ainsi balayé. Les chrétiens se tiennent, depuis, à l’écart des lieux de culte dévastés. Et vivent dans la peur. Quel est le bilan précis ?

L’ONG protestante évangélique Portes Ouvertes, souvent bien renseignée, a très vite communiqué sur le sujet, affirmant que 72 églises, « la plupart évangéliques », ont été détruites. Cette information, qui a été reprise sur d’autres sites, s’appuie entre autres sur un article de Fredrick Nzwili pour le site Religion News Service. Ce bilan est globalement juste, mais peut être affiné.

Davantage d’implantations protestantes touchées…

Le DEFAP (service protestant de mission) ne propose pas de « fiche pays » sur le Niger. Mais d’autres bases de données permettent d’avoir une idée de la présence chrétienne. Le département d’Etat des Etats-Unis évoque moins de 2% de chrétiens, partagés entre protestants et catholiques. Le dernier atlas d’Operation World donne quant à lui les statistiques suivantes : 21.500 protestants évangéliques, environ 20.000 charismatiques et pentecôtistes, et 16.000 catholiques(1). Ce dernier chiffre correspond à celui donné par l’Annuaire de l’Eglise catholique. Le Niger compterait ainsi environ un catholique pour trois protestants, ces derniers se rattachant en très grande majorité à la mouvance évangélique et pentecôtiste. En termes d’implantation de lieux de culte, le ratio penche encore davantage côté protestant : les assemblées évangéliques étant fondées sur le principe de l’association de convertis, elles ont multiplié les petites chapelles, tantôt pentecôtiste, baptiste, charismatique (Vie Abondante) ou autre (mission SIM). Ces réalités de terrain expliquent que les protestants aient payé un tribut particulièrement lourd en matière de destructions. Des dizaines de lieux de culte ont été dévastés dont l’église baptiste de Niamey, mais aussi un orphelinat pentecôtiste (Le Bon Samaritain).

Une violence qui balaye indifféremment catholiques et protestants

Cependant, il est important et juste de souligner que même si la cathédrale de Niamey n’a pas été touchée (car fortement gardée par des militaires), le reste du patrimoine catholique au Niger a été foudroyé, entre Zinder et Niamey. En chiffres absolus, les catholiques ont été moins touchés car ils sont un peu moins implantés. Mais en termes relatifs, ils ont été tout autant ciblés par les violences (soi-disant) anti-Charlie. « Plus d’un milliard de CFA de dégâts », tout est à reconstruire », affirme un article du site officiel de l’Église catholique au Niger. Une catastrophe pour la fragile Église catholique du Niger, qui avait fêté ses 75 ans en 2006.

Autant dire qu’il n’y a pas très grand sens à hiérarchiser entre pertes catholiques et pertes protestantes au Niger. Selon une religieuse catholique interrogée par l’agence Zénith, l’éruption de violence islamiste anti-chrétienne a été possiblement encouragée de loin par Boko Haram. Son témoignage est confirmé, dans le quotidien La Croix, par l’évêque Mgr Michel Cartatéguy, qui affirme que le drapeau de Boko Haram a flotté à Zinder pendant le saccage des églises(2) . Or cette violence furieuse, nourrie d’un fanatisme bien éloigné de la foi pacifique de tant de musulmans du Niger, ne fait pas de détail.

Le mot « laïc » disparaît de la constitution

Exploitant une « émotion populaire », elle s’inscrit aussi dans une stratégie à long terme. Maïkoréma Zakari évoque ainsi la disparition, dans la dernière constitution du Niger, du terme « laïc », remplacé par « non confessionnalité de l’Etat », suite à des protestations de certaines voix musulmanes en 1999(3). L’objectif de construction d’une société islamique est bien là, même s’il n’est pas partagé par tous les musulmans. Et pour une petite minorité, au service de cet objectif, tous les moyens sont bons. L’affaire Charlie ? Une aubaine pour eux… Tout ceci explique pourquoi la violence de ce mois de janvier 2015 a balayé indifféremment catholiques et protestants. Parce que chrétiens. Charlie Hebdo ? Un prétexte dérisoire quand on sait qu’il n’y a pas plus anticlérical que ce journal satirique, bien loin de la foi des chrétiens de Niamey ou Zinder.

Réunies par un douloureux œcuménisme de la douleur, les fragiles francophonies protestante et catholique du Niger doivent faire face, aujourd’hui, à l’immense défi de la reconstruction. Dans un environnement précaire.
 

(1) Jason Mandryk, « Niger », Atlas Operation World, Colorado Springs, 2010, p.638.

(2) Mgr Michel Cartatéguy, à Niamey : « Il n’y a aucune semence de haine dans nos cœurs », La Croix, 22 janvier 2015.

(3) Maïkoréma Zakari revue Africa, LXIV, 2009, p.529-539.